C’était en mai 1915

C’était en mai 1915

Les articles proposés ce mois-ci sont issus de deux éditions de la fin du mois de mai 1915 de La Vigie républicaine d’Arcachon. Ils abordent le thème des pays neutres ainsi que celui des armes nouvelles utilisées par l’Allemagne. En insistant sur la « barbarie » de ces dernières, ils participent à la propagande antigermanique qui continue à entretenir « les exacerbations des passions patriotiques », alors même que commence à émerger un courant favorable à une paix de compromis.

Le grand article du 23 mai est rédigé par Jean-Louis de Lanessan, qui fut ministre de la Marine de 1899 à 1902 et renforça la flotte de guerre française : « Où est le Français, où est le Russe, où est l’Anglais […] qui pourrait songer à la paix ? », feint-il de se demander, au moment où le gouvernement allemand cherche déjà une paix séparée avec la Russie et où l’Autriche cherche à se rapprocher de la France via les contacts de la femme du futur empereur Charles Ier, Zita, et de son frère, le francophile Sixte de Bourbon-Parme, avec le pape Benoît XV. Ce dernier évoque le 25 mai « l’horrible boucherie qui déshonore l’Europe ». En avril 1915 s’est aussi tenu à La Haye un congrès féministe international qui a débattu des conditions de la paix à venir.

Si l’on veut maintenir l’esprit combattant au front et à l’arrière, et espérer entraîner les états neutres dans la guerre, il faut donc faire apparaître les actes de l’ennemi comme « crime et folie », ainsi que le précise le titre percutant de l’article. Ces termes forts sont chacun utilisés trois fois par l’auteur afin de marteler le raisonnement. Les actes de l’ennemi sont comparés à ceux des « Apaches », ennemi de l’intérieur bien connu de l’opinion publique au tournant du siècle, qui a suivi dans la presse les exactions spectaculaires de ces voyous violents des faubourgs de l’Est parisien. Les actes de l’ennemi sont surtout fustigés car ils contreviennent aux « traités internationaux », à « la justice des nations », c’est-à-dire au droit de la guerre tel que défini par les conférences de La Haye, notamment celle de 1907, qui avait cherché à réglementer l’emploi de la force armée dans une convention signée par 44 états. Ils contreviennent aussi à ce que l’auteur nomme « le plus vulgaire droit des gens », les coutumes non écrites censées maintenir la guerre dans une certaine « humanité » et « raison ». La notion juridique de « crime de guerre » est en gestation, préfigurant un tribunal international pour prononcer « les châtiments adéquats [aux] crimes ».

La convention de la première conférence de La Haye en 1899 interdisait déjà l’usage des gaz (« engins susceptibles de déterminer l’asphyxie »). Celle de 1907 précisait que les armes nouvelles devaient passer un test de conformité ; cette clause ne fut pas appliquée. L’article met en avant « l’emploi des gaz asphyxiants », « des bombes asphyxiantes », « sur le front occidental » : le 22 avril 1915, les Allemands les ont utilisés pour la première fois sur le front d’Ypres, suivis par les pays de l’Entente à partir de l’automne. Au total, 110 000 tonnes de gaz de combat sont dispersées, entraînant plus de 90 000 décès.

Lanessan, de par sa spécialité, développe encore plus le thème de l’autre arme nouvelle, la guerre sous-marine, la « piraterie des sous-marins allemands ». La convention de 1907 avait aussi tenté de réglementer la guerre navale et avait interdit les torpilles. Les alliés ne s’attendaient pas à une telle guerre, considérée comme particulièrement inhumaine car susceptible d’atteindre des civils (le poème dit « le sous-marin […] tue d’innocentes victimes ») et des ressortissants de pays neutres. Pourtant, l’Allemagne s’y décide en février 1915, pour contrer le blocus maritime des Alliés et en représailles au mouillage de mines à l’entrée de la Manche par les Britanniques. Le 4 février, elle déclare zone de guerre les eaux entourant la Grande-Bretagne et l’Irlande. Elle ne peut compter pour le moment que sur une quinzaine d’U-Boote disponibles. En deux mois et demi, les sous-marins allemands coulent néanmoins une cinquantaine de bateaux alliés et une quarantaine de bâtiments neutres. Pour riposter, les Britanniques n’hésitent pas à utiliser des bateaux-pièges portant un armement camouflé.

Il semble que ce fut le cas du fameux Lusitania, cité dans le texte de Lanessan et le poème, dont le naufrage le 7 mai 1915 est représenté sur une affiche de propagande américaine. Transatlantique britannique lancé en 1906, c’était l’un des plus puissants navires du monde : son torpillage par un U-20 marqua donc beaucoup les esprits, d’autant que 1 198 passagers disparurent, dont 129 Américains, citoyens d’un pays neutre. C’est pourquoi le président Wilson menaça l’Allemagne de représailles, et cela conduisit cette dernière à suspendre sa guerre sous-marine jusqu’au début de 1917. Pourtant, pour sa défense, elle avait argué que le paquebot transportait des armes et des munitions, ce qui fut prouvé par les archives en 1972. Le bâtiment avait en fait été transformé en « croiseur auxiliaire » et contenait douze canons.

La guerre sous-marine fut en tout cas un bon argument de propagande pour entraîner les pays neutres dans la guerre, ainsi que les descriptions d’atrocités commises par les Allemands contre les civils, notamment en Belgique et dans le nord de la France (femmes et enfants, on le voit dans le poème). L’Italie, initialement membre de la Triplice, d’où le mot « trahison » utilisé ici, avait déclaré sa neutralité le 3 août 1914. On voit dans l’article de droite qu’elle entre en guerre aux côtés des alliés le 24 mai 1915, espérant des récompenses territoriales aux dépens de l’Autriche. Le journal d’Arcachon aime à répercuter cet événement, souhaité par le poète Gabriele D’Annunzio, qui avait préparé son discours de Quarto lorsqu’il logeait à la villa Saint-Dominique au Moulleau. Le souffle lyrique de sa lettre au nationaliste Maurice Barrès, citée ici, était bien connu des Arcachonnais !

Armelle BONIN-KERDON

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