Couronnement de Notre-Dame d’Arcachon

Fresques pour le centenaire

du couronnement de la statue de

NOTRE-DAME d’ARCACHON

le 16 juillet 1873

La cérémonie du couronnement

Le mercredi 16 juillet ayant été choisi pour la cérémonie du Couronnement, le Cardinal Donnet, archevêque de Bordeaux, arriva le veille à 18 heures, accompagne de son coadjuteur, Mgr de Bouillerie, des archevêques d’Avignon et de Tours, des évêques d’AIbi, d’Angoulême, de Périgueux et de Tarbes.

Le maire Jean Mauriac, le con­seil municipal et les fonctionnaires des diverses administrations s’étaient rendus à la gare pour accueillir les prélats. Sous un arc de triomphe, devant la gare, Jean Mauriac les harangua. Aux évêques, il déclara que c’étaient les évêques qui avaient fait la France et salua dans le cardinal, « l’auguste vieillard qui a tant contribué à la prospérité d’Arcachon, dont la sollicitude s’étendit toujours, avec une prédilection marquée, sur les populations si chrétiennes de « l’ancien captalat de Buch »1, ce qui ne fut pas du goût du journal « La Gironde », lequel voyait plutôt dans les Pereire et la Com­pagnie du Midi, les principaux agents de la prospérité d’Arca­chon2.

Le cardinal répondit au maire ; puis des calèches s’avancèrent dans lesquelles tout le monde s’assit pour gagner l’église Notre-Dame, derrière la musique du 57e de ligne. Une compagnie de ce régiment, formant une escorte d’honneur, suivait les voitures.

À Notre-Dame, le cardinal mon­ta en chaire et remercia les pré­lats d’être venus. Le salut terminé, le cardinal et Mgr de La Bouillerie prirent le chemin de la villa de l’archevêché, les autres évêques étant reçus dans les familles « les plus considérables d’Arcachon » 1.

Le 16 juillet 1873 au matin dès 3 h 30, les cloches de Notre-Dame tintèrent pour annon­cer le début des messes célébrées sans interruption par les nombreux prêtres venus à l’occasion du cou­ronnement.

À 8 h 30, nouvelle réception à la gare. Cette fois, il s’agit des autorités civiles et militaires.

À 9 heures, tous les participants sont rassemblés devant le presby­tère, sauf le cardinal et son co­adjuteur. Le cortège se forme : en tête la croix et les enfants de chœur, la musique des élèves des Frères des Écoles Chrétiennes de Bordeaux, la musique du 57e de ligne, deux cents prêtres, abbés et chanoines, en habit de chœur, la statue de Notre-Dame sur un brancard, portée par quatre cha­noines. Des soldats forment autour de la statue une garde d’honneur. Suivent les archevêques et évêques, mitre sur la tête et crosse à la main, derrière eux le général commandant la Division de Bor­deaux, le préfet, le maire, le premier avocat général, le procureur de la République, le conseil muni­cipal et les fonctionnaires repré­sentant les diverses administrations. Une file de soldats, a droite et à gauche, encadre le cortège.

Lorsque les cloches de Notre-Dame se mettent en branle, la procession se met en marche et descend l’avenue de la Chapelle. Arrivée au boulevard de la Plage, elle tourne à gauche. À ce menu le cardinal et Mgr de La Bouillerie qui attendaient devant la villa « Saint-Joseph » prennent leur place dans le cortège. La proces­sion continue jusqu’à l’avenue Sainte-Marie qu’elle remonte.

Un autel avait été dressé en plein air contre le mur ouest de l’église Notre-Dame, abrité sous une sorte de vélarium, ainsi qu’une tribune réservée aux autorités.

Lorsque chacun est à son rang, le cardinal remet la couronne de la Vierge et celle de l’Enfant au R. P. de la Couture, supérieur des Oblats de Marie Immaculée qui desservent la paroisse. Le secrétaire général de l’archevêché lit le Bref du pape Pie IX accordant à In statue de la Vierge d’Arcachon les honneurs du couronnement.

Le cardinal bénit les couronnes et les dépose au pied de la statue.

À 10 heures, la messe com­mence, célébrée par le cardinal. Le sermon est prononcé par Mgr de La Bouillerie. Après I’« Ite Missa est » a lieu la cérémonie du couronnement. Le clergé et l’assistance entonnent I’« Ave Maris Stella ». Le cardinal dépose leur couronne respective sur les têtes de la Vierge Marie et de l’Enfant Jésus. Des salves d’artil­lerie éclatent sur terre auxquelles répondent les canons des bâti­ments ancrés devant Arcachon.

Quand les canons se sont tus, est chantée une cantate, paroles du chanoine Audoin et musique de M. d’Etcheverry.

Après le dernier couplet :

Partez chars embrasés qui mesurez la terre,

Sur vos ailes de feux, regagnez l’horizon,

Et des milliers de voix vont dans la France entière

Préconiser les gloires d’Arcachon.3

la statue est ramenée dans la Chapelle des Marins, aux accents du « Te Deum », suivie du cardi­nal, des archevêques et des évê­ques qui l’encensent chacun à leur tour et se retirent.

Notre-dame d'Arcachon
Notre-Dame d’Arcachon

L’APRÈS-MIDI ET LE LENDEMAIN

L’après-midi, les vêpres furent chantées à l’emplacement de la messe du matin. Après le Salut du Saint Sacrement, la statue fut por­tée en procession à l’extrémité de l’allée de la Chapelle au bord du Bassin et le cardinal et les évê­ques bénirent ensemble la mer et la multitude des barques, immo­biles ou en mouvement devant la plage.

Le soir, une retraite aux flam­beaux précédée par la musique militaire, parcourut la ville. Le quartier de la Chapelle était parti­culièrement bien illuminé et des milliers de personnes s’y pres­saient. Le cardinal Donnet, malgré ses 78 ans, tint à descendre dans la rue et à se mêler à la foule.

Dans les cérémonies du 16 juil­let avaient dû céder le pas aux « officiels » ceux dont la Vierge d’Arcachon était la patronne et la protectrice : les pêcheurs du Bassin.

La matinée du 17 juillet leur fut réservée. Le cardinal célébra la messe : « Toujours la même affluence, le même recueillement, la même pompe dans les cérémonies… tous les marins du littoral entouraient l’autel où Son Éminence offrait pour eux, aux pieds de la statue miraculeuse, le Saint Sacrifice. »1

Mgr d’Outremont, évêque d’Agen parla « à cet auditoire composé d’hommes en qui tant de vertus se dérobent sous une rude enveloppe »4, de Marie, l’Étoile de la mer. Il aurait pu leur rappeler que leurs ancêtres, après avoir franchi les passes, au retour d’une pêche en haute mer, chan­taient les litanies de la Sainte Vierge, ainsi que le rapporte l’abbé Butet, curé de Gujan : « Si le pilote manque la lame ou qu’elle crève en dehors (vers la mer), la chaloupe périt corps il biens. Si la lame crève en dedans, la seule force du courant fait avancer le bateau de plus d’une demi-lieue dans le bassin, sans voiles, ni rames, et on chante les litanies de la Sainte Vierge. »5.

1. « L’Aquitaine » du 26 juillet 1873.

2. « La Gironde » du 20 juillet 1873.

3. « Les chars embrasés » sont sans doute les trains de pèlerins. Les poètes sacrés d’hier, en langue vernaculaire, ne valaient pas mieux que ceux d’aujourd’hui.

4. « La Guienne » du 19 juillet 1873.

5. Lettre du curé de Gujan, citée dans « Les Variétés Bordelaises » de l’abbé Baurein (1784-86).

La procession nautique décommandée

En 1923, à l’occasion du cinquan­tenaire du couronnement de la statue de Notre-Dame d’Arcachon, le journal « L’Avenir d’Arcachon », le 15 juillet, consacra un article aux fêtes du 16 juillet 1873. L’auteur rapportait les propos d’un ami « qui fut enfant de chœur au couronnement de la statue, le 16 juillet 1873 », mais qui ne vou­lait pas être cité, de peur, que l’on ne découvrît son âge.

Cet enfant de chœur avait vu « les évêques prendre place sur un même bateau avec la Vierge couronnée et les principales autorités, d’autres bateaux servant aux musiciens et chanteurs ».

Le cortège nautique avait cir­culé au milieu d’une foule d’em­barcations pavoisées, puis le débarquement s’était fait à la Croix de la Chapelle. L’article était signé : « Vidi » (j’ai vu).

Dans son livre « Notre-Dame d’Arcachon », achevé d’imprimer le 12 mai 1937, André Rebsomen, après avoir décrit les cérémonies de la matinée du 16 juillet 1873, poursuit : « L’après-midi, après les vêpres et le sermon, eut lieu « la procession nautique. Les évêques prirent place sur un même bateau avec la Vierge couronnée et les principales autorités. Dans d’autres barques, se groupèrent les musiciens et les chanteurs. Après la bénédiction solennelle du Bassin, le cortège sacré débarqua à la Croix… ».

André Rebsomen, comme on le voit, a fait largement confiance à « Vidi ». Il a eu tort, car iI n’y eut pas de procession nautique.

« Sauf la procession nautique « qui a été contremandée ; on ne sait pour quel motif, mais assurément par suite d’une erreur car le temps était beau, le pro gramme a été rempli de la façon la plus heureuse », dit le journal « La Guienne » du 18 juillet 1873. « La Gironde » du 20 juillet 1873 émet une appréciation différente sur l’exécution du programme, mais expose les faits de façon identique : « La foule se porte sur la plage. On voit les vapeurs, les bateaux de pêche, les chaloupes, les embarcations toutes pavoisées et sillonnant le Bassin. La mer, agitée le matin, est devenue calme, le temps est magnifique. On attend la procession nautique. Elle n’a pas lieu… Pour la seconde fois, le programme n’est pas suivi. ».

Quant à « L’Aquitaine », la semaine religieuse de l’archevêché1, elle se lamente :

… Qu’il « était beau le Bassin à ce moment-là, avec sa surface légèrement ridée par la brise, ses innombrables barques, ses vapeurs pavoisés, ses lumineux horizons, et la paix qui semblait descendre du ciel sur ses flots.

Hélas ! nous nous éloignâmes de ces rives avec un vif regret. Une procession nautique avait « été annoncée… elle n’avait pas lieu. Pourquoi ? Nous n’en savons rien. De quel spectacle et de quelle consolation, nous avons été cependant privés !

Voyez-vous ces barques qui se groupent, se croissent et se mêlent à la suite de l’image et des « étendards de Marie ? Voyez-vous ces voiles gonflées, entendez-vous comme les cantiques saints retentissent sur les flots « sonores ? Quel tableau, quelle féerie ! Ne dirait-on pas une scène du paradis sur la terre ? « Hélas ! tout cela notre imagination l’avait attendu et rêvé, mais nos yeux ne l’ont pas vu.

Oh ! marins d’Arcachon, vous auriez voulu que votre Madone bien aimée marquât de ses pas l’étendue de votre domaine et répandit sur les flots qui sont votre élément, ses bénédictions maternelles, mais votre archevêque le voulait autant que vous, Marins d’Arcachon, la suppression d’une solennité qui vous est si chère, et avec raison, vous a laissé comme un amer souvenir, mais le cœur de votre archevêque est, à cet égard, impressionné comme le vôtre ; ce qui a été une privation pour vous, a été une souffrance pour lui…

La cause est entendue. Il n’y a pas eu de procession nautique le jour du couronnement de la statue de Notre-Dame d’Arcachon.

Le jeune enfant de chœur2 de 1873, devenu sexa­génaire, dut mêler ses souvenirs de la fête du couronnement avec ceux d’autres cérémonies posté­rieures. « Vidi » n’a pas vu et André Rebsomen a négligé la cri­tique historique. Au demeurant, cette erreur historique n’est pas bien grave, mais la question de­meure : « Pourquoi la procession nautique prévue n’eut-elle pas « lieu ? »

1. 26 juillet 1873.

2. Il s’agit vraisemblablement de M. Auschitsky, en littérature Guy de Pierrefeu, dont le peintre Guillaume Alaux donna les traits, dit-on à l’un des enfants de chœur qui figure sur la fresque de la Basilique Notre-Dame, représentant le couronnement de la statue de la Vierge d’Arcachon, le 16 juillet 1873.

Le banquet

Sans nous dire pourquoi le bien pensant journal « La Guienne » du 17 juillet 1873 nous apprend que les vêpres du 16 juillet durent être retardées d’une heure. Nous pensons, quant à nous, avoir dé­couvert la raison do ce décalage d’horaire dans la longueur du banquet.

À Arcachon, déclarait « La Gi­ronde » du 20 juillet 1873, il n’y a pas de cérémonie sans banquet. Celui du couronnement de la sta­tue de Notre-Dame d’Arcachon eut lieu, après les offices du matin dans la villa du cardinal Donnet, boulevard de la Plage. Il était offert aux autorités religieuses, militaires et civiles par la munici­palité d’Arcachon, qui avait fait venir de Bordeaux le traiteur Millac.

Au dessert, Jean Mauriac, maire d’Arcachon, porta un toast « aux illustres prélats et aux autres invités »1.

Le cardinal Donnet répondit « par une de ces causeries pleines de bonhomie paternelle et de pittoresques saillies qui lui sont si familières »1… et les vêpres durent être retardées d’une heure.

A vrai dire, la verve d’un vieil homme2, spirituel et bavard, n’est pas seule responsable de ce retard, le menu aussi y est pour quelque chose. Il était fameux. Qu’on en juge :

Potage printanier

Croquettes à la dauphine

Truite sauce au beurre

Jambon aux petits pois

Filet de bœuf sauce madère

Poulet sauté à la Marengo

Punch

Dindonneau au cresson

Ortolans aux croûtes

Galantine de lièvre

Salade russe

Croûtes à l’ananas

Dessert

Bombe glacée

Notons l’absence des fines gravettes du Bassin, mais en 1873, on s’abstenait d’huîtres pendant les mois sans « r ». Quant aux vins « La Guienne », qui donne la com­position de ce menu, ne les men­tionne pas. Ils devaient être à l’unisson !

On conçoit fort bien qu’un tel exercice gastronomique n’ait pu se plier à l’horaire fixé. Les ortolans aux croûtes et la galantine de lièvre, bien plus que les saillies pittoresques du cardinal, sont les grands coupables. Ils sont vrai­semblablement responsables éga­lement de cette autre entorse au programme de la journée : la suppression de la procession nau­tique qui devait suivre les vêpres. Nous émettons, en effet, l’hypo­thèse que la crainte de voir, après ces agapes, certains estomacs, tant laïques qu’ecclésiastiques, se mal comporter sur les vagues, dut inciter les organisateurs à suppri­mer la procession nautique sans en référer au vieux cardinal.

1. « La Cuienne » du 18 juillet 1873.

2. Le cardinal avait 78 ans.

Les fêtes du couronnement vues par la presse bordelaise

Le ton critique de certains organes de la presse bordelaise s’explique par la position politique adoptée par le clergé à l’époque.

Principale victime des excès de la Commune de Paris, le clergé français était passé en bloc dans le camp adverse. Résolument favo­rable à une restauration monar­chique, il profitait de toutes les occasions pour intervenir, souvent maladroitement, en faveur de « l’Ordre Moral », de sorte qu’aux yeux des républicains, toutes les manifestations religieuses étaient suspectées de propagande poli­tique.

Les cérémonies du couronne­ment, au lendemain de la chute de Thiers, après l’arrivée à la présidence de la République du maréchal de Mac Mahon, chargé de préparer la voie au Comte de Chambord, n’échappèrent pas à cette suspicion.

N.-B. — « La Gironde » était un quotidien républicain ; « La Guienne », un quotidien royaliste ; « L’Aquitaine » était la semaine religieuse de l’archevêché. Il y avait un autre quotidien républi­cain : « La Petite Gironde ». Ses comptes rendus sont les mêmes que ceux de « La Gironde ».

LA DÉCORATION DE LA VILLE

« La Guienne »1 Arcachon se transforme d’heure en heure de­puis ce matin. Les boulevards de la Plage et de l’Océan, les cours et les principales voies, surtout celles que doit parcourir la pro­cession, sont déjà aux trois quarts décorés. Il y a émulation, presque rivalité. Beaucoup en perdent le boire et le manger…

« L’Aquitaine »2 : De la gare à La Chapelle, ce ne sont que lan­ternes vénitiennes et guirlandes de fleurs.

« La Gironde »3 : Le quartier de La Chapelle est seul orné d’ori­flammes et de drapeaux. Il y en a peu en ville. Quelques oriflammes blanches ont fait remarquer que la fête a commencé le jour de la saint Henri4.

L’AFFLUENCE

« La Guienne »1 : Depuis hier soir (14 juillet), chaque train amène d’immenses voitures de pèlerins et de touristes. Le 16 juil­let, pour peu que le temps s’y prête, me paraît destiné à éclairer des splendeurs encore inconnues à Arcachon.

« La Gironde »5 : Le chemin de fer a amené environ 4.500 voya­geurs, 1.500 sont arrivés par voie de mer ou en voitures.

Avec la population locale et les baigneurs, de 13 à 14 000 per­sonnes ont assisté au couronne­ment de la Vierge. Combien sur ce chiffre avaient le sentiment reli­gieux commandé par la circons­tance : il y en avait peu.

LA MESSE DU COURONNEMENT

« La Guienne »6 : Pendant la messe, il tombait une espèce de petit brouillard qui a fait craindre pour les splendeurs de la fête, mais, en somme, ça été un heu­reux accident, car le temps en a été rafraîchi et l’imposante céré­monie a eu lieu dans les condi­tions les plus favorables.

« La Gironde»2 : Au com­mencement de l’office, on a vive­ment froissé une société lyrique locale qui, à la demande du maire, avait préparé une messe en mu­sique, en lui signifiant de se taire afin que le peuple puisse chanter « la messe royale »… Un certain nombre de places sont restées vides, car il fallait payer 5, 2 ou 1 franc.

Une pluie fine n’a cessé de tom­ber et les parapluies gênaient la vue. Il y avait environ 2 à 3 000 personnes autour et en face de l’autel dressé contre l’église.

LES SERMONS

« La Guienne »6 : Ce sermon (celui de la messe, par Mgr de La Bouillerie) est un chef-d’œu­vre ; la péroraison surtout a électrisé l’assistance. L’âme toute entière de la patrie croyante et fidèle était sur les lèvres de Mgr de La Bouillerie, quand il a pris à témoin la Reine du Ciel de notre certaine et prochaine régénération, de notre relèvement national.

« La Gironde »2 : (Le jour­naliste ne parle pas du sermon de la messe, il n’a retenu que celui des vêpres.) L’évêque de Tarbes, promu archevêque de Chambéry, a prêché aux vêpres. Il a dit que la foi se réveillait, que la France allait se régénérer, car ses desti­nées étaient confiées à l’épée d’un vaillant soldat qui saurait la défendre contre les horreurs de la démagogie.

LA NUIT DU 16 JUILLET

« La Guienne »7 : Véritable avalanche de lumières et d’harmonie. La foule débordait sur Arcachon comme les flots du Bas­sin sur son rivage. Dans le vaste triangle formé par le boulevard de l’Océan, l’avenue Sainte-Marie et l’avenue de la Chapelle, c’était réellement féerique. Dans l’inté­rieur de la ville, on a fait, çà et là, des effets heureux, notamment au Cercle d’Arcachon.

Le clocher de Notre-Dame pré­sentait un « M » gigantesque re­levé par des verres de couleurs d’un effet très gracieux.

« La Gironde »2 : Si pour des raisons que je ne peux apprécier, le clergé de Bordeaux, qui est venu diriger ces fêtes, s’est peu distingué dans l’exécution rigou­reuse des cérémonies, les habi­tants d’Arcachon veulent tout au moins profiter du beau temps et essayer au moins d’offrir une bon­ne soirée à leurs hôtes.

… À 10 heures du soir, le quar­tier de la Chapelle est splendide­ment pavoisé et illuminé. Les feux électriques de la Chapelle croisent en tous sens. Des feux de Bengale et des milliers de lanternes aux vives couleurs éclairent et décorent l’avenue Sainte-Marie et le boulevard de l’Océan. L’aspect est vraiment féerique. Les prome­neurs circulent par milliers, mais la retraite aux flambeaux n’est pas dirigée sur cet endroit.

CONCLUSION

« La Guienne »7 : C’est fini. L’impression a été grande et heu­reuse. Tout a réussi.

« La Gironde »2 : Les fêtes religieuses sont terminées et je ne crois pas qu’il y ait un converti de plus. Malgré la présence de huit prélats et la pompe des céré­monies, l’aspect général était plus profane que religieux. Les étrangers qui se sont rendus à l’appel du clergé n’ont pas, dans cette circonstance, répondu à ce qu’on attendait d’eux et le commerce d’Arcachon, qui escomptait ces journées, annoncées avec un cer­tain fracas, se trouve déçu dans ses espérances.

Le Schah8 est peut-être bien pour quelque chose dans les mé­comptes de la ville d’Arcachon.

Dans tous les cas, on l’en accuse et, s’il est vraiment coupable, cela prouverait que dans notre siècle, la présence d’un souverain persan est un attrait plus puissant que le spectacle d’un couronnement de la Vierge.

N.-B. — La presse républicaine ne souffla mot de la messe des marins du 17 juillet 1873, célébrée par le cardinal

1. Numéro du 17 juillet 1873

2. Numéro du 20 juillet 1873

3. Numéro du 17 juillet 1873

4. Allusion au drapeau blanc du comte de Chambord, le futur Henri V si la restauration se faisait.

5. Numéro du 20 juillet1873

6. Numéro du 18 juillet1873

7. Numéro du 19 juillet1873

8. En visite à Paris

Le cardinal et le pêcheur poète

Le Cardinal Donnet, archevêque de Bordeaux et sénateur de l’Em­pire, aimait beaucoup Arcachon. Il s’employa activement à transfor­mer en ville le village qui s’était implanté dans cette solitude. Les poètes ne raisonnent pas comme les archevêques, sénateurs de l’Empire. Émilien Barreyre1 d’Arès, aussi vrai pêcheur que dé­licat poète, a regretté l’urbanisa­tion du site de la chapelle et il l’a dit en beaux vers dans la lan­gue de ses parents :

« …que finouse, armouniue e diuzengue

« Entralhéue de biu l’ame das troubadours. »

(qui, fine, harmonieuse et divine, enflammait d’enthousiasme l’âme des troubadours).

« O blanche Arcachon — chante Émilien Barreyre — qu’on ne vienne plus me dire que ce qui te rend éblouissante est ta riche petite ville. Rien que niaiserie et désir de jouer au seigneur que l’éparpillement de tous ces petits châteaux de la dune à ta côte et de tous les styles ! Que serais tu sans la mer qui ronge ton perré et sens la chapelle où se voit Notre-Dame. »

La transformation d’Arcachon était inéluctable et le cardinal Donnet a bien fait d’y contribuer. Il doit en être remercié, mais il n’aurait pas dû toucher à la cha­pelle. La chapelle d’Arcachon aurait dû rester telle qu’elle était, dans son cadre forestier, avec une large allée, plantée d’arbres abou­tissant à la mer. Les constructions n’auraient dû être autorisées qu’assez loin d’elle et l’église paroissiale aurait dû être bâtie ailleurs2. Le cardinal Donnet fit pourtant de la chapelle le lieu du culte de la paroisse d’Arcachon nouvellement créée et, quand l’édifice devint trop petit pour la popu­lation, il l’amputa d’un tiers et lui accola une église.

Des gens avisés, « gens sensadous », lui dirent qu’il allait tuer le pèlerinage. Il ne le crut pas : « Quelques personnes animées des intentions les plus droites se sont un instant préoccupées de la crainte que l’antique sanctuaire ainsi renouvelé cessât d’être l’objet de la vénération des fidèles ; qu’elles se rassurent. Le pèlerinage n’est point déplacé : le lieu reste le même. Les cérémonies augustes de la religion frapperont d’autant plus les esprits qu’elles seront célébrées dans un temple plus en harmonie avec la majesté du culte catholique.

« Avec quelle émotion nos braves marins et les nombreux étrangers s’y rendront-ils pour prier !»3.

Pour des cérémonies augustes, il y eut des cérémonies augustes ! André Rebsomen les énumère dans « Notre-Dame d’Arcachon » : « Quel spectacle chatoyant que celui de ces dames en toilette brillante, aux chapeaux de paille retenus par des nœuds de ruban, aux robes de soie à volants et à dessins brodés soutenues par des crinolines ondulantes, aux épaules couvertes de mantelets, côtoyant des officiers en étincelant uniforme, chamarrés d’or et de décorations ! Quel parterre des plus beaux noms de France ! C’étaient les Tuileries et ses réceptions célèbres transportées dans notre église ! »

Les pêcheurs n’osèrent plus tra­verser cette église-salon pour se rendre dans leur chapelle. Le nom­bre des autres pèlerins diminua également. Autrefois, on venait à Notre-Dame d’Arcachon, maintenant il fallait aller à l’église paroissiale d’Arcachon, ce n’était plus la même chose. D’année en année, le pèlerinage du 25 mars perdit de l’importance et le 25 mars devint ce qu’il est aujour­d’hui, la fête patronale des seuls Arcachonnais pratiquants ou officiels ».

Les curés des paroisses rive­raines du Bassin, y compris les curés successifs de Saint-Ferdi­nand, la deuxième paroisse de la ville d’Arcachon, ne furent pas les derniers à contribuer, peu ou prou, à la désaffection de leurs ouailles envers la Vierge d’Arcachon.

Pourquoi le curé de Saint-Ferdi­nand, le quartier résidentiel des pêcheurs aurait-il envoyé ses gens de mer chez les bourgeois de Notre-Dame ? Pourquoi tous les curés du Bassin n’auraient-ils pas essayé de détourner vers l’autel de la Vierge de leur propre église la piété des fidèles, envers la mère du Christ ?

C’est à partir de ce moment que les ex-voto des marins des paroisses voisines ne vont plus à Notre-Dame d’Arcachon, mais à l’église de leur paroisse. En 1904, p us de cent cinquante pêcheurs de sardines, des « chardineys » de Gujan et de Mestras, échap­pent à un coup de mer. Leurs ex-voto sont remis à l’église Saint-Maurice de Gujan et à la chapelle Saint-Michel de Mestras.

Celui de l’église de Gujan est toujours en place ; c’est une pla­que de marbre, apposée dans la Chapelle de la Vierge, portant cette inscription : « A Notre-Dame des Marins, les marins de Gujan-Mestras. « Hommage de filiale reconnaissance », « 151 marins sauvés par le vapeur « Le Saint-Georges ». « 18 marins sauvés par « le vapeur « Le Morse ». « 3 marins sauvés par des barques de pêcheurs ». « Le 3 janvier 1904, 15 barques ont pu franchir les passes. »

Celui de la Chapelle de Mestras a disparu depuis quelques années. C’était un tableau représentant l’entrée du Bassin avec l’inscrip­tion : « Passes d’Arcachon, 3 janvier 1904. Pêcheurs sardiniers surpris par la tempête. »

Le 15 avril 1908, les naufragés de « La Baleine », prisonniers des Maures pendant près d’un mois, sont de retour à Arcachon. Ceux d’Arcachon appartiennent tous à la paroisse Saint-Ferdinand. Leur curé ne les conduit pas en pèlerinage à la Chapelle des Marins, mais organise une messe d’action de grâces dans son église et les noms de 18 membres de l’équi­page de « La Baleine » prisonniers des Marocains du 25 février au 21 mars 1908, furent gravés sur une plaque à gauche de l’autel de la Vierge, dans l’église Saint-Fer­dinand. A Saint-Maurice de Gujan, c’est saint Joseph qui bénéficia de la reconnaissance des rescapés gujanais, comme en témoigne la plaque : « Reconnaissance à saint Joseph. Les naufragés de « La Baleine ». Mars 1908. Rousseau, Lafon, Rustique, Castaing, Berran. »

Ce qui reste de la chapelle du XVIIe siècle a été remarquable­ment restauré en 1972. Cette restauration fait davantage regretter l’amputation subie par la chapelle au XIXe siècle et la destruction du site :

« O louquet bèn aymat ! Ey de [plous plèn moun ame

« De te beyre coum ses anuyt !

« L’om es pec… »

(O petit lieu bien aimé ! J’ai des pleurs plein mon âme de te voir comme tu es aujourd’hui. L’homme est fou…)

« Labets ères un sent perloun et lustsjeues.

« Denstoun soûlas surbèt, îabets mestourejèues

« lou natureu de la bèntat,

« Coum lou Diu du Cèu mestourèje l’aubine. .»

(Alors tu étais une sainte perle et tu resplendissais. Dans ta soli­tude superbe, alors tu étais la maîtresse de la beauté de la Nature, comme le Dieu du Ciel est le maître de l’aurore.)

Ce qui est passé est mort.

La petite chapelle restaurée ne verra probablement jamais plus :

« Dets mile malireys un cop per an benguèuen

« Saluda lur patroune, e se desgouloumpéuen

« Louloung de la ma blue en un surbet mur. »

(Dix mille pêcheurs4, une fois par an, venir saluer leur patronne et s’allonger en cortège le long de la mer bleue, comme un superbe mur.)

 Jacques RAGOT

1. Né à Arès en 1883, mort en 1944, auteur d’un recueil de poésies en gascon « Las Malineyres » (Les filles de la mer).

2. Le ministre de l’Environnement raisonnerait, sans doute, aujourd’hui, ainsi.

3. Lettre pastorale du 25 février 1855.

4. Exagération poétique : Il n’y eut jamais un tel rassemblement de pêcheurs, qu’au demeurant les effec­tifs de la population maritime ne permettaient pas.

Extrait du Bulletin n° 4 de la Société Historique et Archéologique d’Arcachon et du Pays de Buch (août 1973)

Voir la Fresque du Couronnemement de Guillaume Alaux sur le site de Noël Courtaigne.

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