La concession des landes communales de Gujan (1793-1823)

La concession des landes communales de Gujan (1793-1823)

 

Les différentes phases de cette affaire qui passionna la population de Gujan pendant plus de trente ans s’échelonnent comme suit :

1793 : des particuliers se taillent d’une façon anarchique des propriétés dans les landes que les lois révolutionnaires viennent de faire communales.

1806 : un décret de Napoléon 1er transforme en concessions les usurpations de 1793.

1823 : à la demande de la municipalité, le roi Louis XVIII autorise celle-ci à faire de nouvelles concessions de landes communales.

Mais avant de commencer l’étude de la première phase il est nécessaire de rappeler la concession des vacants faite, en 1550, par le captal et la vente de ces mêmes vacants en 1766, au sieur Nézer.

 

LA BAILLETTE, OU BAIL A FIEF, DU 23 MAI 1550

Ayant besoin d’argent, le 23 mai 1550, le captal Frédéric de Foix bailla à ses sujets du captalat “tout ce qui a été accoutumé être tenu en padouens et vacans es dites paroisses de La Teste, Gujan et Cazaux” pour en jouir “à jamais perpétuellement sans qu’aucun trouble ou empé­chement leur soit mis ou donné par le dit Seigneur”.

Les habitants du captalat obtenaient ainsi la propriété utile de l’immense lande comprise entre le lac de Cazaux au sud, la paroisse du Teich à l’est, le pied des dunes de sable à l’ouest, les bourgs de La Teste et de Gujan au nord.

Ce bail à fief était accordé par le seigneur moyennant un droit d’entrée de 800 livres tournoises, un cens annuel de 10 francs bordelais et 5 sols tournois d’exporle , c’est-à-dire 5 sols tournois à payer à chaque changement de seigneur .

L’acte comportait une réserve : le captal s’accordait « le pouvoir et puissance » de reprendre les susdits vacants et de les bailler de nouveau à fief si un candidat se présentait, voulant ” les convertir en labourage pour faire bled “.

 

LA VENTE AU SIEUR NÉZER (5 FÉVRIER 1766)

Usant de la réserve prévue par la baillette de 1550, Messire Fran­çois-Alain Amanieu de Ruat, chevalier, captal de Buch, seigneur du Teich et autres lieux, vendit la lande au sieur Daniel Nézer, négociant à Paris, le 5 février 1766.

La vente portait sur 40 000 jouraux. soit 20 248 journaux 6 réges 7 carreaux dans la seigneurie du Teich et 19 751 journaux 25 réges 9 carreaux dans le Captalat de Buch. Les landes vacantes dans le captalat de Buch couvrant une superficie de 22 215 journaux 1 rége 7 carreaux, restaient donc en dehors de la vente 2 464 journaux que le seigneur de Ruat réservait à l’usage des habitants et au pacage de leurs troupeaux.

Sur ces 2 464 journaux, 1 012 revenaient à la paroisse de Gujan1, les autres à La Teste et à Cazaux. Ils étaient situés aux abords des prin­cipales agglomérations des trois paroisses.

 

LES USURPATIONS DE 1793

Sur ces 1 012 journaux le seigneur, en raison de la Baillette de 1550, n’avait plus qu’un droit symbolique, dit de propriété directe, la propriété effective appartenant aux habitants, si bien qu’en supprimant la propriété directe du captal sur ces landes, l’abolition des droits féodaux, le 4 août 1789, ne modifiait pas grand’chose. Restait à savoir si ces landes devaient rester indivises ou être partagés entre les habitants.

Pour certains esprits simples, l’abolition des droits féodaux signifia que, ce qui avait été au seigneur devenant le bien de tous, à chacun de prendre sa part. C’est ce qu’expliqua aux administrateurs du District de Bordeaux, le maire de Gujan, Daney aîné, le 26 mars 1792 : “un particulier de notre communauté dès les premiers jours de la Révolution où tous les droits étaient diffus ou méconnus. entreprit de défricher environ six journaux de landes. Ce particulier eut bientôt des jaloux qui en instrui­sirent la municipalité…”

Daney proposait, “puisque l’objet des Landes” n’était pas encore réglé par une loi et qu’on pouvait également penser qu’elles appartenaient toujours au ci-devant seigneur, de laisser ce particulier en possession de ces six Journaux en raison des frais qu’il avait engagés sous réserve de versement d’une caution qui serait abandonnée “au vrai propriétaire lorsqu’il serait connu” (AD. 4L. 145).

La lettre était signée par le maire et par les officiers municipaux : Caupos, Dailleau, Darman ainsi que par le procureur de la commune Dunouguey.

La loi attendue par le maire Daney fut promulguée le 14 août 1792, le lendemain de l’incarcération au Temple de la famille royale, et signée «au nom de la nation» par Danton. Elle décrétait :

1) Que cette année, immédiatement après les récoltes, tous les terrains et usages communaux, autres que les bois, seront par­tagés entre les citoyens de chaque commune

2) Que les citoyens jouiront en toute propriété de leurs portions respectives

3) Que les biens connus sous le nom de vacans seront éga­lement divisés entre les habitants

4) Que pour fixer le mode de partage le comité d’agriculture présentera dans les trois jours un projet de décret.

C’est la Convention Nationale qui fera paraître ce décret, le 10 juin 1793 an second de la République Française, dont les dispositions essen­tielles sont les suivantes :

– Le partage des biens communaux sera fait par tête d’habi­tant domicilié, de tout âge et de tout sexe, absent ou présent (art, 1 section II),

– Sera réputé habitant tout citoyen français, domicilié dans la commune un an avant le jour de la promulgation de la loi du 14 Août 1792, ou qui ne l’aurait pas quittée un an avant cette époque pour aller s’établir dans une autre commune. (art, 3, section II).

– Le partage des biens communaux est facultatif (art. section III)

– La municipalité convoquera tous les citoyens ayant droit au partage (art. 2, section III)

– L’assemblée aura toujours lieu un dimanche (art. 3, section III)

– Tout individu de tout sexe ayant droit au partage et âgé de 21 ans aura droit d’y voter (art. 5, section Ill)

– Lorsque le partage sera décidé, l’assemblée procédera à la nomination de trois experts, pris hors commune, dont un au moins sera arpenteur et de deux indicateurs choisis dans l’assemblée, pour effectuer le partage (art. 16 section III)

– Des que les experts auront terminé leurs opérations et clos leur procès-verbal, le lot de chacun sera tiré au sort (art, 26, sec­tion III)

– Il sera, du tout, dressé procès-verbal en double exemplaire, un déposé aux archives de la commune, l’autre à celle du District (art. 30, section III)

Conformément au décret du 10 juin 1793, la municipalité convoqua tous les habitants ayant droit au partage, dans l’église Saint Maurice, le dimanche 25 août 1793. Désigné comme commissaire, Jean Daney lut le décret, Après quoi on vota pour décider si les communaux seraient partagés ou non, L’assemblée se prononça2 pour le partage et constitua un bureau de séance présidé par Jean Boyne, menuisier, avec comme secrétaire Jean Bézian.

Jean Boyne demanda à l’assistance si elle voulait le partage de la totalité des vacants ou seulement d’une partie. Par 150 voix contre 38 le partage de la totalité fut décidé, mais il fut ensuite entendu que chaque section de la commune en délibérerait lorsqu’elle se réunirait pour procé­der au partage. Puis on se donna rendez-vous au dimanche suivant pour le choix des experts.

Le dimanche 1er septembre Martin Bosmorin, Jean Dubuch, dit Gentilhomme, et Jean Deligey, dit Houga, tous trois du Teich furent choisis comme experts arbitres, On leur adjoignit comme “indicateurs” Jean Boyrie et Pierre Castaing pour les instruire “de la confrontation et de l’étendue des communaux”.

Après l’assemblée du 25 août 1793 dans l’église de Gujan, vingt trois habitants de Meyran : Jean Cazaux, Jean Duprat, Deligey Janiron, Jean Desgons, Vincent Delis, Jean Castaing, Pierre Dubourg, Jean Caillac Jean Baleste, Michel Degraves, Pierre Degraves, Antoine Deligey dit Ragot, Martin Desgons, Jean Duga, Pierre Duga, Jean Duvergé, Jean Castaing, Gerard Castaing avaient écrit aux administrateurs du District3 Ils faisaient valoir “que s’il y a des biens communaux dans chaque section la majeure partie des citoyens de la commune se trouve au village de Mestras”, voulant dire par là que les autres sections n’étaient pas maîtres­ses du devenir de leurs communaux et que c’était la section de Mestras qui en décidait.

Ils ajoutaient que les Mestrassais avaient un communal “en pins et bruca”4 qu’ils refusaient de mettre dans le partage commun sous prétexte que c’était un bien qui leur était propre, ayant un titre. Par contre ces mestrassais affirmaient que les brucas sans titre devaient être par­tagés entre tous les habitants de la commune. Or Meyran aussi avait son “bruca” qui était séparé de la lande de Nezer par une craste. De tous temps Meyran avait eu des parcs à brebis sur ce bruca et en avait entre­tenu les crastes, malheureusement ils n’avaient plus le titre. Les vingt-trois pétitionnaires concluaient en demandant aux administrateurs si ceux de Meyran pouvaient s’opposer au partage décidé “par le corps des habitants” de Gujan et s’il ne vaudrait pas mieux que chaque village régIe sa propre affaire “dans son enclave…afin d’éviter toute contestation et faire bien”. La réponse des administrateurs du district ne nous est pas connue en raison des lacunes existant dans le registre d’enregistrement des décisions des administrateurs du district, conservé aux archives dépar­tementales, mais ils durent répondre aux pétitionnaires qu’ils ne pouvaient s’opposer au partage décidé le 25 août 1793 et qu’il n ‘y avait pas de “bruca” exempt de partage, car la section de Mestras procéda au partage de ses propres communaux le 22 brumaire (octobre) sous la présidence de Jean Daney, “cordié”.

Ce partage fut aussitôt contesté. Jean Daney, parait-il, aurait trahi “impurement”, le 20 octobre, en écrivant une lettre au ci-devant seigneur “par laquelle il avait vendu partie du quartier du dit Mestras et Mestras­sau” (?). Ce premier partage fut donc annulé et on procéda à un second le 11 nivose (décembre) 1793.

Convoqués par Pierre Castaing, cultivateur et capitaine de la Garde Nationale, les Mestrassais se réunirent à 1 heure de l’après midi “sur la place du Cabille, lieu ordinaire des assemblées” mais “constatant que la pluie ne discontinuait pas”, ils se rendirent dans la maison du dit Castaing. Désigné comme commissaire, Jean Boyrie lut le texte du décret du 10 juin 1793, puis l’assemblée opina pour le partage.

Jean Castaing, élu président d’assemblée, posa alors la question : les communaux seront-ils partagés en totalité ou en partie ? À la majorité des trois quarts le partage de la totalité l’emporta.

Comme à Gujan, en septembre, on prit comme experts-arbitres : Martin Bosmaurin, Jean Dubuch et Jean Deligey avec mission d’effectuer le partage “en autant de portions qu’il faudra”. Jean Boyrie et Jean Coudert leur furent adjoints comme “indicateurs”.

 

LES CONCESSIONS DE 1806

Comment les experts firent-ils leur travail ? Nous n’en savons rien, II n ‘y a pas de trace de leur procès-verbal et du tirage au sort des lots, prévus par le décret du 10 juin 1793, D’après les plaintes adressées au préfet après 1800, il semble bien que les premiers défrichements se firent d’une façon anarchique. Les pouvoirs publics et les municipalités, sous la Convention et le Directoire, avaient laissé faire, ayant des problèmes à régler plus importants que l’application du décret du 10 juin 1793, Il fallut attendre le rétablissement de t’ordre en France par Bonaparte, après le 19 brumaire an 8 (1799), On ne commença donc à parler de régularisation à Gujan qu’à partir de 1802.

Un certain nombre d’habitants ayant adressé au préfet une pro­testation contre le défrichement de la lande par des personnes nullement autorisées, le conseil municipal mit l’affaire à son ordre du jour, le 15 messidor an 10 (juin 1802). Après discussion, le conseil fut d’avis “que les landes défrichées, tant dans la section de Mestras et Mestrassau que dans les quartiers de la Ruade et de Meyran, soient abandonnées, laissées libres et en nature de lande, telles qu’elles étaient avant la Révolution, c’est-à-dire dans leur état primitif afin de laisser leur parcours à la libre circulation des troupeaux”.

Une nouvelle pétition signée Daisson, Cazenave, Daussy, Gour­gues, Belliard, Castaing, Lesprevier, Dehillotte, Miquelon, Seinlary, Mesteyreau, Darman, Deycard, Deligey est adressée au préfet. Craignant que Dumur aîné, le maire, ne lui ait pas fait parvenir la délibération du 15 messidor. les pétitionnaires lui en envoie une copie. Ils abondent dans le sens de la délibération : il faut rendre à la lande son état d’avant la Révolution, car les défrichements vont jusqu’aux parcs. Ce qui reste de lande non défrichée ne suffit plus au parcours des troupeaux. Il va falloir réduire le nombre de têtes, ce qui aura pour conséquence la diminution du fumier indispensable aux cultures. D’autre part, pour mettre leurs défri­chements à l’abri des eaux, certains ont modifié le cours des crastes ; il en est résulté l’inondation des propriétés des pétitionnaires.

Le problème soulevé par les pétitions et la délibération du Conseil Municipal dépassait la compétence du Préfet. Sans doute les partages avaient été mal faits mais il y avait une loi à leur origine, celle du 14 août 1792. Une loi ne peut être modifiée que par une autre loi, Le texte de celle­-ci paraîtra le 9 ventose an 12 (février 1804), trois mois avant que le Sénat adopte la Constitution de l’an 12, confiant le gouvernement de la Répu­blique à un empereur qui prendra le titre d’Empereur des Français.

La nouvelle loi posait en principe que seraient reconnus comme propriétaires uniquement les détenteurs de parcelles défrichées et mises en culture, et à condition qu’ils acceptent de payer une redevance annuelle rachetable en tous temps pour vingt fois la rente. Cette redevance serait fixée, après estimation, à la moitié du revenu que la parcelle était susceptible de fournir annuellement au moment où elle avait été occupée. Soixante quinze habitants de la commune de Gujan firent la décla­ration requise. indiquant le terrain occupé, l’état dans lequel il avait été trouvé et l’état dans lequel il était présentement. En juillet 1804 le Préfet désigna comme expert M. Fleury, fils aîné, membre du Conseil d’arrondissement avec mission de fixer la redevance annuelle à payer par chaque concessionnaire. Il devait être secondé par deux adjoints, l’un désigné par les soixante quinze, qui portèrent leur choix sur Gassian, de la commune de Mios, l’autre par le sous-préfet de l’arrondissement. Le 21 fructidor (août), Fleury, fils aîné, malade, fut remplacé par son père. Les opérations se terminèrent en septembre. Le rapport des trois experts fut approuvé par le conseil municipal et envoyé au Préfet. Tout le dossier était adressé en octobre 1804 au ministre de l’Intérieur qui n’était plus appelé “citoyen” mais “Monseigneur”, comme avant la Révolution. Seul le nommé André Hostein, dit “Clique”, avait réclamé contre la délibération du conseil municipal.

En février 1805, le chef de la Première Division du Ministère de l’Intérieur informa le préfet de la Gironde que le ministre allait soumettre à la signature de l’Empereur un décret autorisant le maire de Gujan à concéder une partie de la lande communale à 75 particuliers.

Le décret fut signé le 17 avril 1806. La concession portait sur 80 hectares 29 ares 93 centiares, moyennant une rente annuelle globale de 395 francs 5 centimes.

 

Application du décret du 17 Avril 1806

La Municipalité de Gujan va connaître des difficultés de toutes sortes dans l’application du décret du 17 avril 1806. Les soixante-quinze concessionnaires, en effet, ont tendance à s’étendre au delà de leurs limites et, à coté d’eux, s’installent de nouveaux défricheurs sans droits ni titres, comme en 1793. Or le maire n’est pas toujours soutenu par le Préfet dans sa lutte contre les usurpateurs qui empiètent sur les terrains de par­cours du bétail, car la préfecture serait plutôt favorable à l’extension des terres cultivées et encline à de nouvelles concessions.

En 1809, les Mestrassais relancent leur vieille affaire de terrain communal appartenant en propre à leur village. Le 15 mai, le Préfet fait connaître que, s’il se révèle que la section de Mestras est propriétaire de terrains en vertu d’un acte ancien. la rente annuelle payée par ceux qui ont obtenu des concessions sur ces terrains sera employée aux seuls besoins de cette section, mais il appartient aux Mestrassais de justifier leurs droits en produisant l’acte ; de toute façon, on ne reviendra pas sur les concessions faites en 1806.

Puis ce sont des problèmes d’évacuation des eaux, que la muni­cipalité a à résoudre. Les défricheurs, en effet, ont modifié le tracé des anciennes crastes. Pour ne pas avoir d’eau chez eux, ils l’envoient chez le voisin. C’est ce qu’a fait, par exemple, Pierre Daisson.

Le conseiller municipal Dumur aîné, commissaire désigné depuis le 30 Octobre 1810 “pour les réparations de la grande et de petite craste”, est chargé, le 22 novembre, par le maire Garnon de faire creuser par des prestataires de Mestras un fossé au lieu dit Cambes. Le 24 novembre, il se rend sur les lieux accompagné de deux autres conseillers.

Il était huit heures et demie. Dumur expliqua aux 35 à 40 pres­tataires convoqués ce qu’il y avait à faire : «Mes amis, leur dit-il, voilà le lieu que M. le Maire nous a désigné pour faire la craste afin d’éviter que l’eau de la grande lande ne s’introduisent par cette « couline »5 que vous voyez. Ces eaux, comme vous savez, sont très nuisibles à nos possessions en temps d’hiver. Par conséquent il faut tacher de faire un fossé direc­tement sur celui qui conduit les eaux au ruisseau de Gujan». Dès qu’il a terminé les prestataires commencent à jeter des pelletées de terre dans la «couline». C’est alors qu’intervient Pierre Daisson, dit Musset, qui s’était mêlé aux prestataires. Il s’oppose à ce qu’on bouche la « couline », car c’est lui qui l’a faite pour que le lot qu’il a obtenu ne soit pas inondé.

Le conseiller Dumur a beau exposer que « l’abondance des eaux qui passent par cette couline en temps d’hiver devient très nuisible aux champs des autres habitants et que ces mêmes eaux se répandent dans diverses maisons du dit village de Mestras jusqu’à les faire déloger et que pour éviter ce désagrément nous n’avions de meilleur parti a prendre que de continuer à faire notre fossé pour conduire les dites eaux au grand ruisseau de Gujan, lequel fossé ne devenait que très avantageux à toutes les parties ».

Rien n’y fait, Pierre Daisson ne veut rien entendre. Il va d’un travailleur à l’autre lui ordonnant d’arrêter «en les criaillant toujours et à tellement crié que tout le monde s’est dispers”, Le pauvre Dumur se retrouve tout seul, même ses collègues l’ont abandonné. Il rentre à Gujan et rédige un procès-verbal que le maire légalisera et enverra au préfet, baron de l’empire, le jour même, “pour servir et valoir ainsi que de raison”.

 

L’affaire Tardis

Si Daisson inondait ses voisins, Tardis s’installait de sa seule autorité sur des terrains dont la concession avait été demandée par d’autres, L’affaire Tardis débute en février 1812, Le maire Jacques Garnon, le 13 février, à 10 heures, reçoit la visite de la femme de Bertrand Dandraut, dit Pougai, accompagnée de la femme de Louis Dubourdieu, Ces dames lui exposent que leurs maris sont concessionnaires, que jugeant leurs concessions insuffisantes, ils ont demandé à s’étendre, mais qu’ils n’ont pas commencé à défricher, attendant que l’autorisation de s’agrandir leur soit donnée. Or sur le terrain que leurs maris convoi­tent, Michel Tardis, maréchal forgeron à Mestrassau, vient de s’installer sans autorisation et présentement est en train de défricher .

Le maire se rend aussitôt sur les lieux et trouve Tardis et sa femme en train de charger sur une charrette à bœufs dételée les pierres de fon­dations d’un parc démoli, et les bœufs de la charrette tirant une charrue tenue par Antoine Ducos cadet,

Aux questions du maire Tardis et Ducos répondent, le premier que le parc appartenait à Daussy Testoy qui lui a donné les pierres et le second qu’il est au service de Tardis, ainsi qu’un autre homme en train d’arracher les souches de bruyère. Tardis reconnut la chose sans difficulté. Le maire ordonna alors à tout le monde de vider les lieux sur le champ, ce que tous promirent de faire, et il s’en retourna au bourg.

À une heure de relevée le ménage Dubourdieu frappait à la porte de la maison du maire et rendait compte à ce dernier, qu’après son départ, le laboureur Ducos avait demandé à Tardis ce qu’il devait faire, déclarant que de toute façon il voulait être payé du labour déjà fait. Tardis lui avait répondu de ne pas s’inquiéter et de continuer. La femme de Tardis avait ajouté “que le défrichement se ferait… et qu’elle trouverait quelqu’un qui serait plus que le maire…”.

Garnon immédiatement repartit, mais ne trouva que Ducos qui se reposait en cassant la croûte. Aux reproches du maire, Ducos répliqua qu’il ne faisait qu’obéir à Tardis.

– Si Tardis te demandait d’aller labourer la propriété d’un autre ou d’aller te noyer, le ferais-tu ? demanda le maire

– Non, convint Ducos.

Alors Garnon réitéra ses ordres du matin et chargea Ducos d’en prévenir Tardis. De retour chez lui il dressa un procès-verbal contre Tardis et Ducos qu’il envoya au sous-préfet pour qu’il soit fait un exemple destiné à ce que des faits semblables ne se reproduisent plus.

Malgré le procès-verbal dressé contre lui, le 13 février, Tardis continua ses défrichements. Le 17 avril le maire rend compte au sous­-préfet : “Le sieur Michel Tardis défriche sans cesse au mépris de mes défenses comme maire en fonction, ayant été obligé de me décorer de mon écharpe… Je vous prie M. le sous-préfet de vouloir bien donner toutes les suites nécessaires pour qu’il soit fait un exemple, pour que le fonctionnaire public soit respecté et obéi, que la voie publique dite “che­min de la Barraque” soit rétablie et que cet avide de fonds de la commune soit puni…

Je pense, M. le sous-préfet, que vous adhérerez à ma demande d’envoi de mes procès-verbaux à M. le Procureur Impérial. C’est être trop fier, surtout quand on méconnaît l’autorité locale en usurpant les biens de la commune et les chemins publics. Il convient qu’ils soient punis de leur fierté”. Garnon ajoutait en post-scriptum : “II y a longtemps que le sieur Daney aîné, meunier, ne cesse de donner des conseils sur tout, tant de droit que de travers. Il attire la confiance des imbéciles… etc.”

Hélas! le sous-préfet répondit, le 24 avril, qu’il ne pouvait trans­mettre les procès-verbaux au Procureur Impérial, car ils n’étaient pas valables. Réglementairement M. le maire aurait du se faire assister de deux membres de son Conseil Municipal qui auraient signé avec lui. Pendant ce temps le maréchal-forgeron Tardis, de Mestrassau, écrivait directement au Ministre de l’Intérieur, comte de l’Empire, se plaignant que le maire de Gujan “non content de s’opposer à ce qu’il défricha une petite portion de terrain dans la lande de cette commune, ainsi que les lois nouvelles l’y autorisent, a ordonné aux autres habitants de faire manger en herbe par leurs bestiaux tout ce que l’exposant pour­rait y semer, de plus l’a accablé de propos injurieux”.

Le ministre envoya la lettre au préfet de la Gironde, baron Gary, pour enquêter et prendre, ou proposer, les mesures convenables.

Le préfet transmit au sous-préfet qui transmit à Garnon pour explications. Celles-ci furent envoyées au préfet qui, le 1er août 1812, fit savoir au sous-préfet que le maire avait raison sur le fond, mais avait eu tort de ne pas avoir ceint son écharpe toutes les fois qu’il s’était rendu sur le terrain. De toute façon il fallait réprimer des infractions comme celle commise par Tardis.

C’était plus facile à prescrire qu’à faire exécuter. Le 9 mars 1813 le maire signale au sous-préfet que sur les soixante-quinze habitants, qui ont obtenu une concession, soixante-dix se déclarent pleinement satisfaits. Mais à côté des soixante-quinze concessionnaires, satisfaits ou mécontents, il y a dix usurpateurs : “Cazenave, dit Horat, Dupouy, dit Jayot, Hostein André, dit Clique, tous les trois de Mestras, Courtois, dit Cadet, Maçon et la fille Marie Darneyre, habitant tous les deux près du ruisseau, la veuve Deligey-Ragot, Ducos cadet, tous deux de Meyran, Deligey Gérard, dit amic et. . … (?) dit Janot, de la Ruade, enfin Tardis, maréchal-forgeron à Mestrassau.

Ces gens se sont emparés de terrains au mépris de l’arrêt du Conseil de préfecture du 27 février 1811. Cet arrêt Garnon l’a adressé en son temps à M. le sous-préfet en lui demandant des instructions pour son application, mais sans doute en raison de «ses vastes affaires adminis­tratives. M . le sous-préfet ne les a pas encore fait connaître.”

À cette lettre du 9 mars 1813 le sous-préfet répond le 13 : il ne sert a rien de se plaindre. Il faut passer aux actes et faire constater les infrac­tions dans les formes. Il ajoute : “J’ai souvent eu l’occasion de vous faire observer combien il serait à désirer que le conseil municipal consente à concorder à bail, à longues années, et moyennant une redevance annuelle, les terrains envahis par quelques uns de vos administrés… Je vous invite a faire de nouveau délibérer votre conseil municipal”.

Le 13 mars 1813, l’Empire était déjà sur sa fin. Un an plus tard ce sera l’abdication de l’Empereur. Puis il y aura le retour de l’île d’Elbe, les Cent jours et la seconde Restauration.

À Gujan, ces grands événements se traduiront par le départ de Garnon, maire nommé par le gouvernement impérial et par l’arrivée à la mairie de Daney, le maire de la Restauration, celui qui, en 1812, selon Garnon, attirait “la confiance des imbéciles”. C’est sous Daney qu’un second train de concessions de terrains communaux sera lancé.

 

Nouvelles Concessions

Daney écouta d’abord favorablement les propriétaires de troupeaux opposés aux concessions qui diminuaient les terrains de parcours. Il écrit le 7 mai 1816 au Préfet : “…dans la malheureuse révolution quelques intrigants donnèrent l’éveil à d’autres misérables se prévalant du mot de liber­té qui se permirent de prendre chacun un morceau de terrain et le mettre en nature de culture.

Par le décret du 9 ventose an 12, ils sont devenus propriétaires bien qu’il n’y eut qu’un partage verbal et non par acte comme le pré­voyait la loi du 10 juillet 1793. D’autres se sont mis à en faire autant sans régie, ni bon ordre”.

Le 20 mai 1816, plus raisonnable, le Préfet répondit à Daney que la loi de 1793 avait fait de ceux qui en avait bénéficié de véritables propriétaires. Par contre, en ce qui concerne les autres, il fallait maintenir les droits de la commune.

Opposé aux défrichements en mai, le maire y devient moins défa­vorable en août. Entre temps, les propriétaires de troupeaux avaient protesté auprès du Préfet contre les défrichements. Daney, le 23 août, écrit, lui, au préfet qu’il est “favorable a des concessions en raison des mariages qui se font à Gujan, ce qui fait augmenter la population, d’autre part le tiers du territoire est en friche. Les défrichements déjà faits ont produit 800 hectolitres de seigle et de froment, sans compter le maïs et les pommes de terre, mais les habitants ne doivent pas défricher à leur gré et il faut tenir compte de Intéret des propriétaires de troupeaux. Les signataires de la pétition sont des hommes qui ont fait ce qu’ils ne veulent pas que les autres fassent. Ils sont maintenant détenteurs par décret de fonds dont ils s’étaient emparés comme le font aujourd’hui ceux contre qui ils portent plainte”.

Pour de nouvelles concessions fait savoir le préfet, le 28 août, il faut une délibération du conseil municipal et une enquête de Commodo-Incommodo.

Le 2 novembre 1816 “considérant que l’accroissement de la population de cette commune est parvenue à un tel point qu’un grand nombre de ses habitants restent sans rien faire par défaut de travail, surtout quand l’ingratitude de la pêche se fait ressentir comme cette année”, le Conseil Municipal déclara nécessaires de nouvelles concessions. S’étant rendu compte des inconvénients de la répartition par tête d’habitant prévue par le décret de 1793 il prévoit que “la distribution sera faite aux habitants qui le demanderont eu égard au nombre de personnes qui composent la famille jusqu’à concurrence de quinze, avec 80 centiares ou un 1/2 journal pour chaque personne”.

Le juge de Paix du canton de Belin, M. Sauvage, désigné comme commissaire enquêteur pour l’enquête de commodo-incommodo envoie son rapport au Préfet le 3 janvier 1817. Il n’y eut qu’un seul “non” pour près de cent “oui” et le commissaire enquêteur conclut : “D’après ce que j’ai vu de la profonde misère qui existe dans les familles de marins, il est bien… que les vues bienfaisantes de M. le Maire et de son Conseil Muni­cipal puissent être mises promptement à exécution. Alors la classe indi­gente pourrait encore semer, ce qui serait d’un très grand et très néces­saire secours”.

C’était al1er vite en besogne, car il y avait encore des formalités administratives à respecter. Le 10 mai 1817, l’ingénieur vérificateur du cadastre signe son rapport. Il se félicite que dans sa délibération du 12 avril précédent, le conseil municipal ait donné sa préférence au partage par famille, au lieu du partage par tête d’habitant, et ait fixé à 183 le nombre de parts, à raison de 2 journaux par ménage6.

Le rapport de l’ingénieur vérificateur du cadastre est discuté et certaines de ses propositions modifiées par le conseil municipal dans sa séance du 6 juillet 1817. Le anciens concessionnaires “ayant plus que leurs actes leurs en donnent” devront restituer. Les usurpateurs “non concessionnaires” s’ils ont mis le terrain en “nature de cultures” seront maintenus. Ils disposeront comme tous les “part prenant” de 48 ares soit un journal et demi, “ce que peut en un jour semer une paire de bœufs”. Le 24 juillet 1817, le maire envoie le dossier à la préfecture. Quatre-vingt-deux familles demandent une concession ; comme soixante-quinze concessions ont déjà été accordées en vertu du décret du 17 avril 1806, le nombre de concessions s’élèverait à 157. Daney est d’avis “qu’il serait à propos d’en accorder d’autres “.

 

Lenteurs administratives et difficultés du maire avec ses administrés

Les dossiers ne cheminent pas vite dans les bureaux des adminis­trations. Le 21 décembre, le maire de Gujan s’inquiète du sort du dossier qu’il a adressé à la préfecture, le 24 juillet. Il écrit au Préfet : “Je vous donne avis de l’impatience de ceux qui ont fait leur aveu de vouloir prendre des “bruca”. Ils se sont mis à défricher sans ordre, ni règle et font tort au parcours du bétail”.

Il n’y a pas que le maire pour écrire au préfet. Ses administrés également prennent la plume pour se plaindre de lui. Le 4 février 1818, Cazenave, Cazenave cadet, Seinlary, Lagauzère, Cameleyre, Coudert, Dumur, Lagourgue, Daussy, Daney, Arman, Daisson, pour la deuxième fois, adressent la même plainte au préfet : M. le Maire s’occupe actuel­lement des lots à concéder avec un géomètre de Bordeaux. Il ne se fait seconder par aucun membre du Conseil Municipal. Il coupe et tranche à son gré et “porte la témérité” à se faire remettre sur le champ, par chaque candidat, 30 frs par journal et 6 frs par lot, pour, d’après lui, régler les honoraires du géomètre et les frais de bornage, ce qui empêche ceux qui ne peuvent payer immédiatement de postuler un lot. Enfin, il a refusé le géomètre Cazenave, propriétaire, habitant Gujan, proposé par le Conseil Municipal et lui a préféré un géomètre étranger au pays. D’autre part, il ne délivre aucun reçu des sommes encaissées .

Le préfet ne retint pas les insinuations des pétitionnaires, mais fut bien obligé de reconnaître que la façon de faire du maire n’était pas régulière.

L’arrêté préfectoral du 26 février 1818 prescrivit le versement des sommes perçues dans la caisse du receveur communal et la délivrance d’une quittance. Le conseil devra se faire rendre compte du déroulement des opérations et de la fixation des limites de chaque lot. Il vérifiera si le partage est conforme aux délibérations déjà prises, si les anciens conces­sionnaires sont rentrés dans leurs limites et si les nouveaux ont acquis la “portion” que le Conseil avait entendu donner à chacun.

Daney rend compte au préfet, le 20 mars suivant que 118 parcelles ont été délimitées dont 113 ont été attribuées. Il y en a 5 en litige.

Sur ces entrefaites, les principaux habitants de Mestras se mettent à reparler de cet acte ancien qui aurait donné à leur seul village la propriété de leur communal et adressent un mémoire au Préfet. Ils sont cette fois plus précis qu’en 1809. Cet acte serait daté du 7 juillet 1604, aurait été signé par le captal Bernard d’Epernon et reconduit en 1653 et 1654. Bernard d’Épernon aurait donné à Mestras les landes vaines et vagues, confrontant à l’est à la paroisse du Teich, au midi à la craste Baneyre, au couchant au ruisseau qui alimente le moulin de Gujan, au nord à divers propriétaires. Cette propriété dans laquelle se trouvait un pignada, fut gérée par des syndics élus par les Mestrassais jusqu’à la Révolution. “L’esprit destructeur qui fermentait à cette époque poussa des hommes pervers à détruire cette propriété, ensuite à en usurper le sol pour le mettre en cultures.” Enfin, le maire Dumur, oubliant qu’avant 1789 il avait été syndic de ces vacants, se fit autoriser à y faire des concessions en vertu du décret du 7 avri11806.

En conclusion, les principaux habitants de Mestras ne demandaient pas que l’on retire leur concession aux concessionnaires, mais tous sauf un demandaient que la rente annuelle payée par les concessionnaires ne soit pas versée dans la caisse de la commune de Gujan mais repartie entre les habitants de Mestras. Celui qui n’était pas de cet avis était Bézian. Il demandait, lui, que la rente soit affectée au traitement du curé. Le 9 mai 1818, délibérant sur le mémoire de Mestras, le Conseil Municipal le qualifia “d’ilusoire” mais décida que conformément à la délibération du 24 mars précédent, approuvée par le Préfet le 11 avril, le montant de la rente annuelle provenant des concessions serait effec­tivement employé au traitement du curé desservant la paroisse. La délibération fut envoyée au Préfet le 12 ; il répondit le 19 qu’il statuerait sur l’incident, crée par Mestras, dans le rapport qu’il devait adresser au Ministre,7

Le 31 juillet 1818, le conseil municipal reconnaît que les dispo­sitions principales prescrites dans ses délibérations du 2 novembre 1816 et du 6 juillet 1817 ont été exécutées et que si certaines ne l’ont pu être, cela tient “à la difficulté des lieux”8. Tout est donc paré et le 9 octobre 1818, le rapport du préfet et le projet de concession partent à Paris.

Six mois passent, Le 24 mars 1819, le préfet demande la suite donnée. Subitement réveillé, le 5 avril, le Conseil d’État, directeur général de l’Administration Communale, répond qu’il n’a pu se procurer le texte du décret du 7 avril 1806 ayant autorisé le maire de Gujan à concé­der et demande qu’on lui en envoie une copie.

Le 26 mai, tout le dossier est renvoyé à la préfecture de la Gironde en raison d’irrégularités constatées et, le 23 juin, parait une ordonnance royale indiquant les formalités à remplir pour valider en concessions les partages faits par la municipalité de Gujan.

Les formalités auxquelles ils doivent se soumettre, ne les compre­nant pas toujours très bien, inquiètent les gens, Le 21 novembre 1819, Daney écrit au Préfet que l’Ordonnance a “echauffé les usurpateurs de nos communaux”. Le 21 décembre le Préfet répond “que les individus qui ont été mis en possession par suite des délibérations du 6 juillet 1817 et du 3 juillet 1818 doivent y rester, sauf à eux de payer la redevance. Vous prendrez un arrêté portant que les nouveaux concessionnaires, ceux en vertu de la délibération du 3 juillet 1818, resteront en possession jusqu’à ce que la concession soit sanctionnée par le roi”. Mais tout individu qui empiétera sur le terrain d’autrui devra être poursuivi devant les tribunaux.

 

L’ordonnance royale du 2 Avril 1823

Lorsque toutes les conditions exigées par l’ordonnance du 23 juin 1819 furent remplies, le dossier repartit à Paris. Au bout d’un an, demeu­rant sans nouvelle, le 21 juillet 1820, le maire demanda au Préfet “si de longtemps nous aurons la sanction royale de nos communaux”. “Il ne manque que quelques formalités” répondit le préfet, le 23 novembre 1820.

Huit mois s’écoulent, le maire se plaint au sous-préfet qui, le 19 juin 1821, fait part au préfet du désir du nouveau maire de Gujan de voir aboutir “les opérations de partage faites par son prédécesseur” (9). Le 5 septembre le préfet expliquera au sous-préfet que le retard provient des difficultés que l’ingénieur du cadastre rencontre auprès des conces­sionnaires primitifs, car ceux-ci voudraient faire reconnaître des empié­tements commis au delà de leurs concessions, par le moyen des disposi­tions de l’ordonnance du 26 août 1819. Quand l’ingénieur du cadastre aura terminé, le sous-préfet devra se rendre à Gujan et mettre chaque concessionnaire à sa place en présence du conseil municipal.

Presque deux ans passeront encore avant que Louis XVIII, roi de France et de Navarre, signe le 2 avril 1823 l’ordonnance autorisant le maire de Gujan à concéder définitivement à 121 chefs de famille, par acte notarié, 59 hectares 83 ares 42 centiares, à charge par les concessionnaires de payer vingt fois sa valeur, conformément aux soumissions admises par les délibérations du conseil municipal du 16 juillet 1817, du 31 mai 1818 et à l’avis du préfet du 18 décembre 1822.

Avec les 75 concessions de 1806 s’étendant sur 80 hectares 83 ares 40 centiares le nombre des concessions s’élève à 197 et la surface concé­dée à 140 hectares 12 ares 71 centiares.

La liste des concessionnaires se trouve aux Archives Départe­mentales dans le dossier de la série O “Biens communaux, Gujan an 10 à 1825” d’où la documentation de cette exposé a été tirée10. À cause de leur pittoresque, dans cette liste de 197 noms, il faut citer ceux qui sont suivis de leur “chaffre”, C’est ainsi que nous avons :

Deycard Jean, dit Palheban : celui qui fait du torchis

Deligey Antoine, dit Ragot : celui qui est court et trapu

Palais Jean , dit Poutchoun : le petit ventru

Baleste Jean, dit Poc : le petit, le pas grand chose

Deligey Antoine, dit Gouelhrot : le petit berger

Maucouvert, dit Cautchoun : le sournois

Dehillote Pierre, dit Embalayre : celui qui s’emporte, s’emballe

Colin Bernard, dit Malheute : celui qui lève la main facilement

La veuve Gourgues Michel, dit Curt : gros boudin

Béliard Simon dit Pipayre : le fumeur de pipe ou celui qui va souvent à la barrique (pipe)

Dehillotte Bertrand, dit Coucut : même signification qu’en français

Deysson Michel, dit Coutchic : la chatouille

Deysson Guillaume, dit Haurrilloun : le petit forgeron

Castaing Pierre, dit Magnangue : le maladroit

Fabas Jean, dit Coudiney : le cuisinier

Dehillotte, dit Bichoc : celui qui louche

Castaing Pierre, dit Relhoun : le chétif, le malvenu

Lafon Jean, dit Chicoy de Haourat : le petit de Haourat

Goguet Jean, dit Majur : le plus grand

Pirau Jean, dit Naou : le neuvième

Mortin Pierre, dit Tremble : agité d’un tremblement comme , un tremble, un peuplier

Deycart François, dit Tout : qui sait tout

Deycart Marguerite , dite Bérote : celle qui a des yeux de couleur différente (verons)

En transmettant au sous-préfet le 25 avril 1823 une ampliation de l’ordonnance Royale qui faisaient de tousces gens des propriétaires, le Préfet ajoutait : “Ainsi. M. le sous-préfet, se termine cette longue discussion qui a si longtemps agité cette commune. ainsi les anciens concessionnaires resteront dans les limites de leur concession primitive et les nouveaux posséderont sans trouble la portion de lande qui leur est advenue par le nouveau partage. Il faut passer acte devant notaire. Cet acte une fois passé, les terrains concédés passeront dans la catégorie des propriétés particulières.

Les nouveaux comme les anciens peuvent se libérer de leur rede­vance en payant vingt fois la valeur. S’il arrivait que quelques concession­naires voulussent se libérer, la somme devrait être tenue en réserve pour être destinée à l’achat de rente sur l’État”.

En fait toutes les concessions furent rachetées puisque la Com­mune ne perçoit plus de redevance. Il serait intéressant d’établir à quelle date la dernière concession fut rachetée et si la Commune se conforma à la prescription concernant l’achat de rente sur l’État ? Ce sera pour une autre fois.

Jacques RAGOT

 

1. Environ 320 hectares

2. Le décret du 10 juin 1793 précisait que le partage était acquis si le tiers des voix se prononçaient en sa faveur

3. Non encore des habitués des formules anciennes, ils les suppliciaient humblement

4. De bruc (bruyère) endroit ou il y a de la bruyère

5. “Couline”, mot gascon signifiant couloir, ravinement

6. D’après lui la population de Gujan s’élevait à 1 797 individus répartis en 449 ménages.

7. En fait l’incident fut entérré. La réclamation de Mestras, en effet, était enfantine. Aucune expédition de l’acte n’était présentée. En plus une grossière erreur était commise. En 1604 Bernard d’Épernon avait douze ans et c’était Jean-Louis, son père qui était captal. Bernard ne lui succédera qu’en 1642

8. Et aussi au tempérament des gens ! C’est ainsi que certains concessionnaires continueront à s’étendre frauduleusement. Daney citera le 13 avril 1819 au préfet le cas de Degons François, dit Tourneur et de Marie Daisson son épouse, “usurpateurs de première date… au commencement de notre affreuse Révolution” qui ont pris plus de terrain qu ils n’en avaient droit et ont enlevé les bornes “Poursuivez devant le Juge de Paix”, répondra le Préfet

9. Daney a étéremplacé par Jacques Garnon

10. Ainsi que du dossier L 145

Extrait du Bulletin de la Société historique et archéologique d’Arcachon et du Pays de Buch n° 25 du 3e trimestre 1980

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