La paroisse de Gujan après la Révolution (fin XVIIIe-milieu XIXe siècles)

La paroisse de Gujan de la fin du XVIIIe au milieu du XIXe siècles

 

LA PAROISSE DANS L’ESPACE

À peu de choses près, à part les voies de communication qui n’existaient pas dans l’état actuel, là géographie des lieux n’a pas beaucoup changé en cent quatre-vingts ans à Gujan.

Déjà en 1800, les divers ports de Gujan existaient en bordure du Bassin. Les Gujanais, il est vrai, ne partageaient pas l’inquiétude de leurs voisins Testerins : ceux-ci voyaient le sable gagner peu à peu du terrain à partir de l’Océan et menacer bientôt les abords immédiats de leur église et de leur bourg.

La Teste, située à une lieue de Gujan, était une commune fort étendue, un chef-lieu de canton. Ses habitants vivaient de la pêche ; son port se situait à l’Aiguillon. Arcachon n’était alors qu’un quartier désert de cette immense com­mune, célèbre à cause de sa Chapelle des Marins construite en bordure de la baie. Chaque année, pour la Fête de Notre-Dame au 25 mars, les pèlerins venus de Gujan et des paroisses avoisinantes s’y réunissaient en grand nombre.

La côte Noroît était déserte, inhabitée, presque inaccessible. Vers la fin du siècle, elle sera peu à peu colonisée par les ostréiculteurs gujanais qui s’y installeront pour se rapprocher à la « maline », des lieux de leur travail d’agri­culteurs de la mer1.

Jusqu’en 1789, les paroisses de Gujan et de La Teste étaient rattachées à un vaste ensemble, un archiprêtré qui avait son siège à Parentis-en-Born. Il regroupait les paroisses du Pays de Buch et du Pays de Born. La Révolution en établissant les départements, a modifié les limites et le regroupement des paroisses et des anciens diocèses. C’est ainsi que les paroisses du Pays de Born sont rattachées au diocèse des Landes, tandis que celles du Pays de Buch se trouvent regroupées autour de La Teste-de-Buch, promu au rang de chef-lieu de Canton.

Au début du siècle, Gujan comptait plus de deux mille âmes, La Teste n’arri­vait pas à trois mille. En 1839, la paroisse de Gujan comptait 2 183 habitants, celle de La Teste, 2 986.

Autour de son clocher de bois et de sa vieille église Saint-Maurice, le bourg de Gujan regroupe une population besogneuse de pêcheurs à pied et de pay­sans : des « charouayres » ou pêcheurs de moules. Mais la paroisse est vaste et compte divers quartiers : La Ruade, Meyran et surtout Mestras. Ce quartier a pris peu à peu une grande importance au point qu’en 1800, on compte plus d’habitants à Mestras qu’à Gujan. Les Mestrassais se distinguent par leur cou­rage et leur esprit d’aventure. À Mestras résident les pilotes, les patrons de pêche et ces hardis marins qui, durant l’hiver se livrent à la grande pêche sur l’Océan : les « Péougayres ».

 

LES RESSOURCES DU PAYS

Le pays vit de l’agriculture et de la pêche. L’agriculture est surtout confiée au soin des femmes. La terre est pauvre, mal drainée. On y fait venir des céréales, surtout du seigle ; on cultive la vigne qui produit un petit vin du pays. Dans la lande qui s’étend jusqu’à Cazaux et Sanguinet, pacage le petit bétail.

La pêche a toujours constitué la ressource principale de la paroisse. Elle est l’apanage des hommes. Il y a la petite pêche sur le Bassin ; il y a la grande pêche sur le vaste Océan.

Cette dernière n’est pas de tout repos. Elle exige beaucoup de force et de courage. Elle est même très dangereuse, parce qu’elle se pratique l’hiver et qu’elle exige de franchir chaque jour les passes.

Les marins du Péougue se regroupent en équipe ou « pariadge » et ils uti­lisent la « chaloupe ». C’est une embarcation en bois longue de 30 à 33 pieds (soit 11 à 13 mètres). Habituellement, 13 hommes sont à bord : 12 rameurs et un pilote. Le magnifique bas-relief placé en ex-voto sur l’autel de la Vierge, en notre église Saint-Maurice, nous offre une bonne reproduction de ces cha­loupes d’autrefois. On a malheureusement supprimé la partie centrale de cette belle sculpture si expressive pour mettre en place le tabernacle de l’autel : à mon avis, ce fut un sacrilège…

Ces chaloupes naviguaient à l’aviron et à la voile. Elles n’étaient pas pontées. Une tille2, pratiquée à l’arrière, abritait les provisions et le compas. Elles n’étaient pas non plus lestées. Elles n’avaient pour lest que les filets amon­celés dans la partie centrale de l’embarcation. Ces filets, surtout lorsqu’ils étaient humides, devaient représenter un poids considérable : lorsqu’ils étaient tendus bout à bout dans l’Océan, ils arrivaient à couvrir la distance d’une lieue ; pour les relever au montant de la marée, il fallait compter cinq à six heures de travail et d’effort.

Si, par malheur, le mauvais temps et la tempête se levaient en cours de pêche au point d’empêcher les marins de récupérer au moins en partie leurs filets, la navigation dans la chaloupe non lestée devenait très dangereuse. Les naufrages étaient fréquents, l’un d’eux allait susciter l’émotion dans tout le pay s: celui de 1836. Cette année-là, le 28 mars, la tempête empêche six cha­loupes du péougue de franchir les passes. Elle fait en une seule nuit 78 morts, 65 veuves, 168 orphelins ! 3.

En 1860, Louis Veuillot écrit :

« À La Teste, de tous temps, la majorité de la population a été de veuves et d’orphelins. Les orphelins suivent la voie où leurs pères sont morts. Tel est l’at­trait la mer, tel est le noble instinct de l’homme également attiré par la beauté et par le péril. »4

Ce que l’écrivain Louis Veuillot pensait des marins de La Teste, on peut l’attri­buer pareillement à ceux de Gujan.

Cette cohabitation permanente avec le danger aidait peut-être ces rudes pê­cheurs à se confier souvent à la Sainte Providence, ils vénéraient avec dévotion la mère de Dieu- Les nombreux ex-voto qu’ils ont offerts nous en donnent le témoignage. Même aux heures sanglantes de la Révolution, alors que la religion est présentée par les Commissaires de La Teste comme un dangereux fanatisme qu’il faut combattre au nom de la Raison, les marins de Gujan se rendront comme d’habitude vénérer sur la plage d’Arcachon la statue et l’image de Notre-Dame, au jour de sa fête, le 25 mars.

 

LA PAROISSE DANS LE TEMPS

À la veille du XIXe siècle, un grand événement a marqué profondément la vie religieuse de nos paroisses. Ce fut la Révolution de 1789, et surtout la Terreur de 1793 à 1796.

Certes, les Gujanais n’étaient pas pour la Révolution. C’était des paysans, des pêcheurs, des marins. Ils tenaient profondément à leurs pratiques et à leurs traditions religieuses.

Ne pouvant guère communiquer avec l’extérieur, ils ignoraient les idées des philosophes et des grands penseurs de leur temps. Habitués aux dangers de la pêche sur le Bassin et sur le vaste Océan, ils comptaient sur la Providence et sur la protection maternelle de Notre-Dame plus que sur le culte de la raison.

Mais la commune de Gujan dépendait du canton de La Teste où siégeait un conseil général5 imbu des principes de la Révolution. Contraints et forcés, les Gujanais durent subir les directives et les excès de ces meneurs testerins.

 

LES GUJANAIS FACE À LA RÉVOLUTION

Quelle fut l’attitude des prêtres et des chrétiens de Gujan pendant la grande tourmente révolutionnaire? Celle du curé de l’époque, l’abbé Simon Garros, nous permet de croire qu’il ne faut pas trop vite en noircir exagéré­ment le tableau.

Âgé alors de 44 ans, et venant du diocèse d’Auch, était arrivé à Gujan le 13 novembre 1782, l’Abbé Simon Garros. Il succédait à l’abbé Vignes, décédé. Homme consciencieux et ordonné, il avait dû, en arrivant en notre paroisse, reconstituer sur les registres de Gujan les actes de baptême et de mariage et la liste des obsèques religieuses qui n’étaient plus consignés depuis des mois et des mois7. Nous avons la chance de posséder ces registres qu’il a ponctuel­lement tenus à jour depuis son arrivée en 1782 jusqu’au 13 février 1793, date à laquelle le citoyen Jean Gaston Caupos, maire de Gujan, les lui retira8.

L’abbé Simon Garros était donc en place à Gujan depuis près de sept ans lorsque la Révolution de 1789 éclata. Faisant équipe avec ses paroissiens, il allait faire front courageusement à l’orage qui menaçait notre paroisse.

Les premiers temps de la Révolution, il ne fut certainement pas inquiété. Par un arrêté du 20 août 1789, « Messieurs les deux cents électeurs des communes de la Sénéchaussée de Guyenne » invitaient les paroisses à constituer des con­seils municipaux9. Celle de Gujan se conforma comme les autres aux direc­tives émanant de la Sénéchaussée. Elle élut un conseil municipal et un maire.

Celui-ci, le sieur Matthieu Dunouguey, notaire royal, n’avait rien d’anticlérical, ni de révolutionnaire: le 13 décembre 1790, il se présentait devant M. le curé pour faire bénir son mariage avec Marguerite Malebat, en l’église Saint-Mau­rice. Étaient témoins : le sieur Pierre Daney, maître en chirurgie ; Jean Condom, Jean Deligey, Jean-Baptiste Boisset, procureur de la commune, et le sieur Jacques Garnon, étudiant en chirurgie9.

Mais lorsqu’il fallut prêter serment à la Révolution, le curé de Gujan s’y refusa. Sûrement était-il encouragé par ses paroissiens ? Cette attitude digne et coura­geuse n’en était pas moins méritoire, vu les circonstances.

D’abord parce que, par ce refus, il renonçait à percevoir les 2 000 livres de traitement annuel que la Nation proposait aux prêtres jureurs. Mais le curé de Gujan connaissait ses paroissiens : il savait bien qu’ils ne le laisseraient pas croupir dans la misère…

De plus, par ce refus, l’abbé Simon Garros passait aux yeux des révolution­naires testerins pour un « prêtre réfractaire », un mauvais sujet qui se mettait délibérément hors la loi. En outre, il se désolidarisait et de ses supérieurs et de certains de ses confrères. Le curé de La Teste, l’abbé Larchevêque s’était empressé de prêter serment à la Constitution. Mgr Champion de Cicé, arche­vêque de Bordeaux, alors Garde des Sceaux, avait lui-même contresigné la loi du 12 juillet 1790, promulguant la Constitution Civile du Clergé et rendant obli­gatoire ce serment de fidélité à la Nation. D’ailleurs, la majorité du clergé girondin allait prêter serment de fidélité à la Révolution que le Pape Pie VI condamnerait par des brefs signés en 1791 et 1792. Sur 759 prêtres du diocèse invités par la loi à prononcer le serment schismatique, 341 s’y refusèrent à la façon du curé de Gujan, 418 s’y soumirent, soit 55 %10 !

Sans doute, Mgr Champion de Cicé, comprenant son erreur, allait-il donner sa démission de Garde des Sceaux le 20 novembre 1790 et il condamnerait par la suite le texte qu’il avait signé avec le roi Louis XVI pour imposer au Clergé de France le serment de fidélité exigé par l’Assemblée Constituante. Mais dès le printemps 1791, c’est-à-dire avant le gros de la tourmente, l’archevêque de Bordeaux confiait à ses vicaires généraux le soin d’administrer son diocèse et il partait se mettre à l’abri en fuyant à l’étranger10. À l’exemple de ses courageux marins du « Péougue », le curé de Gujan, lui, restait sur place ; il fallait faire face au plus fort de la tempête !

Le 13 mars 1791, une « Assemblée Electorale » se réunissait à Bordeaux, en la cathédrale Saint-André. Elle procédait à l’élection d’un nouvel évêque cons­titutionnel, en raison du départ à l’étranger de Mgr Champion de Cicé. Pierre Pacareau fut élu après ballottage10… Il allait se choisir comme premier vicaire l’abbé Larchevêque, le curé assermenté de La Teste6, Lorsque, pour bénir les mariages qu’il continue de célébrer à Gujan, l’Abbé Simon Garros devra demander les dispenses nécessaires. Il lui faudra s’adresser à l’évêque constitutionnel qui est désormais en place à l’archevêché de Bordeaux. Les actes de mariage qu’il a rédigés et signés jusqu’au 13 février 1793 et qui sont conservés dans les registres paroissiaux portent les mentions suivantes pour le désigner :

« Monsieur Pierre Pacareau, évêque du Sud-Ouest » (mariage de Biaise Beliot et Marie Mauveau du 18 juillet 1791).

« Monsieur Pierre Pacareau, évêque constitutionnel de la Gironde » (mariage de Jean Fourton et Jeanne Douat du 26 juillet 1791).

« Le citoyen Pacareau, évêque départemental de la Gironde » (mariage de François Brouchet et Marguerite Duga du 15 janvier 1793, et mariage de Jean Gourguet et Marguerite Castang du 29 janvier 1793).

Les relations de la paroisse et de l’évêché n’étaient peut-être pas des meil­leures…

Lorsque l’Assemblée Législative interdit aux parents de donner aux enfants dont on allait déclarer la naissance à la mairie le prénom d’un saint, tous les enfants sans exception qui furent déclarés à Gujan, garçons et filles, reçurent le nom d’un saint ou d’une sainte : le plus souvent Marie pour les filles, et Pierre ou Jean pour les garçons. L’officier d’état civil qui, à la mairie de Gujan, tenait désormais les registres au lieu et place du curé à partir de 1793, ne manquait pas d’inscrire en marge des Actes de naissance la mention : « Bap­tême de… » ! À Gujan, il y avait de vieilles habitudes que la Révolution de La Teste ne parvenait pas à empêcher…

Les membres actifs du conseil général de La Teste avaient déclaré une guerre impitoyable au « fanatisme » d’antan : ils voulaient empêcher la traditionnelle procession du 25 mars à la Baie d’Arcachon. Le curé de Gujan encouragea ses paroissiens à se rendre comme chaque année à la chapelle des Marins, il leur demanda de maintenir coûte que coûte ce pieux pèlerinage à Notre-Dame. Ni en 1793 ni en 1794, il n’eut la liberté de s’y rendre personnellement. Du moins eut-il la satisfaction de savoir que sa paroisse de Gujan était toujours bien re­présentée à la Fête des Marins, à la chapelle d’Arcachon6.

Tant qu’il restera à Gujan l’Abbé Garros encouragera ses paroissiens à célé­brer le dimanche comme dans l’ancien temps. Il leur conseillera de bouder ce dimanche profane et impie que les révolutionnaires ont introduit dans leur nou­veau calendrier pour détrôner le Jour du Seigneur : le « décadi ». Alors qu’à Gujan, les marins ne sortent pas en mer afin de sanctifier le dimanche, ils bou­deront systématiquement le décadi sous prétexte qu’il ne faut pas perdre la marée6.

Sans doute, les Testerins ne trouvent-ils pas à leur goût le curé de Gujan. Pendant tout l’hiver de 1791-1792, nos voisins du canton n’ont plus de curé : leur ancien, un jureur, est en place auprès de l’évêque constitutionnel à Bordeaux. Aucun autre prêtre n’accepte de venir s’aventurer à La Teste où la situation du curé n’est peut-être pas très enviable. L’abbé Simon Garros, bien que déclaré hors la loi, consent à porter aux Testerins qui les lui réclament les secours de la religion pour la visite des malades, pour les baptêmes, pour les enterre­ments. Simplement il exige d’être dédommagé de ses frais de déplacement : il ne faut pas oublier qu’il ne percevait aucun traitement et qu’il devait parcourir a chaque occasion la distance de deux lieues à ses risques et périls. Les Tes­terins trouvaient cette rétribution « exorbitante »6.

Tant de zèle et de fidélité à l’Église ne pouvaient rester inaperçus. Aux heu­res sombres de la Terreur, l’abbé Simon Garros est dénoncé comme prêtre réfractaire, il est arrêté, traîné à Bordeaux, emprisonné au Palais Brutus, jugé par le redoutable Ysabeau. Il doit se disculper pour sauver sa tête, il doit prêter serment, il doit même se soumettre contre son gré à une parodie de mariage civil avec sa servante. Il le fit contraint et forcé11.

Qu’aurions-nous fait à sa place ? À cette époque en Gironde, les prêtres réfractaires étaient systématiquement recherchés et arrêtés pour aller grossir le nombre de ceux qui, sans hygiène et sans aucun soin, s’entassaient dans les diverses prisons de la ville : le Fort du Hâ, les Catherinettes, les Orphelines, le Palais Brutus et dans celles tristement célèbres de Blaye : le Fort-Pâté et la Cita­delle. Des seuls diocèses de Bordeaux et de Bazas, 21 prêtres décédèrent en prison en 1794 et 7 en 1795.

De plus, la guillotine fonctionnait en permanence place de la Nation, l’an­cienne place Dauphine12. Les exécutions débutèrent par la mort du prêtre Dumontet, elles allèrent se poursuivre jusqu’au 9 Thermidor, c’est-à-dire jusqu’à la chute de Robespierre10.

Finalement Ysabeau rendit au curé de Gujan la liberté, sous prétexte qu’il était trop malade pour rester en prison.

Mais devenu « prêtre schismatique » aux yeux de ses paroissiens, l’abbé Simon Garros quitte Gujan et part s’installer à Cazaux. Puis il devient curé de Sanguinet (1796-1803). Il reviendra en 1803 finir ses jours à Gujan où il mourra le 15 septembre 180413. Sa présence en notre paroisse semble montrer que malgré le serment qu’il avait dû prêter à la Révolution aux heures difficiles de la Terreur, l’abbé Simon Garros conservait l’estime et l’amitié de ses anciens paroissiens. Il était mort en paix avec l’Église.

 

LES CONSÉQUENCES DE LA RÉVOLUTION

La Révolution de 1789 avait perturbé la vie religieuse de nos paroisses, à Gujan comme ailleurs, en raison surtout de trois graves décisions qu’elle avait prises.

– La confiscation des églises : Ainsi à Gujan, il n’y avait plus d’église parois­siale dont le curé pouvait disposer, mais le Temple Décadaire où serait célébré le Culte de la Raison.

On avait donc confisqué au profit de la Nation les objets sacrés qui rappe­laient le « fanatisme » d’antan : images, statues, tableaux, vases sacrés, orne­ments, même les cloches. Seule la grosse cloche fondue en 1778 fut conservée dans le clocher : elle permettrait de sonner le tocsin.

S’il existe en notre église des statues anciennes, nous les devons à l’abbé Simon Garros et à des chrétiens courageux qui surent les cacher avant qu’elles ne soient irrémédiablement détruites par la fureur des « sans-culotte »

– Une autre décision allait avoir pendant longtemps de tristes et durables con­séquences : les serment de fidélité à la Révolution que la Nation exigeait de tous les prêtres en activité. Les curés jureurs ne furent guère acceptés par la population chrétienne de nos paroisses. Soutenu par ses généreux paroissiens, le curé de Gujan refusa de prêter serment aussi longtemps que ses jours ne furent pas immédiatement en danger. Ce serment, prêté ou refusé, divisera pendant longtemps les chrétiens et les prêtres de nos paroisses et de nos diocèses. Il rendra difficile une réconciliation que seul le temps permettra de réaliser peu à peu.

– Enfin, troisième décision dont les Gujanais unis à leur curé limitèrent les dégâts : l’institution du calendrier républicain et l’observance du « décadi ». La semaine était désormais répartie sur dix jours au lieu de sept, et le dixième jour appelé « décadi » devait remplacer le dimanche. Au jour du décadi, il fal­lait, sous peine d’amendes et de représailles, s’abstenir de travailler et se ren­dre au Temple décadaire afin de célébrer le culte républicain avec des chants et des discours patriotiques.

Les marins de Gujan et leur famille ne montrèrent guère d’empressement pour cette nouvelle religion. Sous prétexte de ne pas perdre le bénéfice de la marée, ils boudèrent ce culte nouveau et froid qui leur était imposé au nom de la Révolution. Le 2 vendémiaire an VII, l’agent municipal de Gujan s’en plaint au cours d’une séance du conseil général du canton6.

Les Gujanais continueront à respecter leur ancien dimanche, considéré par eux comme le jour du Seigneur : ils le consacraient au repos, à la prière et… à la fête. Savez-vous qu’à Gujan, sous la Révolution, on continuait à danser le dimanche, alors qu’au décadi, tout le monde était à son travail ? L’affaire fut signalée au conseil départemental à Bordeaux. On n’osa pas pourtant sanction­ner le délit, sous prétexte qu’il fallait bien aller pêcher le poisson si l’on vou­lait que les Bordelais en mangent. Et on en référa au ministre de l’Intérieur6.

 

LE PRESBYTÈRE ET L’ÉGLISE EN 1800

Probablement vendu comme « Bien National » et donc payé en «assignats»14, le presbytère de Gujan dut souffrir de la Révolution. C’était déjà un très vieil immeuble. La partie située au Septentrion avait plusieurs siècles d’existence. La partie centrale, sans l’étage actuel, datait de 168515. La partie située au méridien n’existait pas encore. À son emplacement, il y avait des écuries et une grange. Sur l’instigation d’un prêtre intelligent et dynamique, l’Abbé Jean Courau, la commune de Gujan rachèterait le presbytère en 1812, engagerait pour 771 francs en frais de réparations et remettrait la « maison presbytérale » à la disposition du curé de Gujan16.

Si le presbytère a peu souffert sous la Révolution, l’église Saint-Maurice et son mobilier ont dû subir davantage le fanatisme des révolutionnaires.

Les cahiers des dépenses de la fabrique nous donnent, à partir de 1804, le détail des frais indispensables qu’il a fallu peu à peu engager pour reconstituer le mobilier et pour assurer aussi dignement que possible le culte religieux que le Concordat de Napoléon avait rétabli le 15 juillet 1801 d’une façon officielle.

Ainsi le 10 prairial an XII (mai 1804), on achète une cloche à la Maison Ampoulange, de Bordeaux, pour le clocheton de la sacristie. Le 7 fructidor, on « accomode » (sic) les fonts baptismaux et on relève la croix en pierre dans le cimetière. Le 27 fructidor, on achète un bassin d’étain pour les baptêmes. Le 4 floréal an XIII, on achète un calice au prix de 88 livres. Le 24 mars 1807, un ciboire pour 66 livres, etc.

Lorsque j’ai parcouru la liste et le montant de ces dépenses réalisées entre 1804 et 1816, j’ai évalué l’immense générosité des chrétiens de Gujan. Encou­ragés par les prêtres qui venaient de nouveau partager leur rude vie et se mettre à leur service, tous ces chrétiens, pauvres mais généreux, apportèrent leur offrande à la paroisse pour que soit reconstitué peu à peu ce patrimoine religieux que la tourmente révolutionnaire avait détruit en leur église, inutile­ment.

 

LES PRÊTRES CURÉS DE GUJAN AU XIXe SIÈCLE

Qui étaient donc ces prêtres capables de susciter chez les fidèles de Gujan un tel élan de générosité ? Il nous est facile d’en reconstituer la liste exacte grâce aux divers documents manuscrits que nous possédons.

En 1801, l’abbé Bardi est curé de Gujan. Le 16 février, il assiste à La Teste à la prise de pouvoir du nouveau curé du canton6.

En 1804 et 1805, c’est l’abbé Damin. Il prend l’heureuse initiative de recons­tituer la Fabrique et il commence à tenir le premier des trois livres de comp­tabilité où seront consignées les recettes et les dépenses de la paroisse jus­qu’en 1892.

L’Abbé Faure lui succède et restera à Gujan jusqu’en 1808. En janvier 1809, l’abbé Gramatt lui succède. Son écriture désordonnée me fait penser qu’il était un homme fatigué, usé peut-être par l’âge, la maladie ou par les sévices de la Révolution.

En janvier 1811, arrive à Gujan l’abbé Jean Courau. C’était un prêtre actif, dynamique. Son écriture semble le montrer, son zèle pastoral au service des âmes nous le prouve. Il obtient de la commune la restitution du presbytère et sa remise en état, il redonne vie à la fabrique, surtout il fait donner à Gujan une Mission en 1812. Cette dernière entreprise n’allait pas sans risque et n’était pas sans mérite : en 1809, de son palais de Shœnbrun, l’empereur Napo­léon, alors tout puissant, avait signé un édit pour interdire en France toute Mission Paroissiale. La grande Croix et le socle qui se dressent à l’entrée de l’avenue de l’Église, portent fièrement encore aujourd’hui, le souvenir et la date de cette Mission paroissiale : 1812.

En 1818, arrive l’abbé Irisson.

Et de 1823 à 1865, pendant près de quarante-trois ans, l’abbé Jacques Fagheol va animer notre paroisse. Nous devons beaucoup au zèle et au dévoue­ment de ce prêtre. J’aimerais vous le faire connaître à l’occasion d’une autre causerie.

En 1865, arrive à Gujan l’abbé Jean Dubroca. En signe de joyeux avènement, il offrait à la paroisse une belle chaire en noyer et un magnifique lutrin de même facture. Il les avait achetés de ses deniers à Bordeaux.

En 1871, était nommé à Gujan l’abbé Meyney.

Et en 1889 lui succédait l’abbé Martron. Nous lui devons la chapelle de Mestras et la belle croix de Mission plantée sur la jetée de Larros le dimanche 25 octobre 1891.

Enfin en 1896, arrivait à Gujan l’abbé Villeligoux. Il connaissait bien la paroisse, car il avait vécu dans le presbytère au temps de l’abbé Fagheol dont il était vicaire. Il gardait un mauvais souvenir de ce jeune temps, car il ne s’entendait pas avec la servante du presbytère…

Pour conclure et pour illustrer ma causerie, je voudrais évoquer l’image de deux croix, les deux croix de Mission qui encadrent l’histoire religieuse à Gujan au XIXe siècle, comme elles embellissent encore aujourd’hui le cadre de notre cité.

La croix de l’avenue de l’Église, érigée lors de la Mission de 1812, alors que tout était à refaire en notre paroisse, évoque l’espoir de ce renouveau reli­gieux qu’a connu le XIXe siècle.

L’autre croix, celle du port de Larros, dressée face au Bassin pour couronner la Mission de 1891, est le signe d’une présence : la présence de Dieu au cœur de nos activités humaines. Ainsi s’exprime la foi d’un peuple chrétien qui veut rester fidèle à son passé.

Abbé Jacques DUCROT, curé de Gujan-Mestras

 

1. On appelle « maline » la période de vives eaux durant laquelle il est possible de prendre pied sur les terres du Bassin, en raison du mouvement des eaux qui descendent vers l’Océan. Cette période dure de six à huit jours et alterne avec la période des « mortes eaux ».

2. La tille est une sorte d’abri aménagé dans l’embarcation qui n’est pas pontée.

3. J. Ragot : « Les pêcheurs du Bassin d’Arcachon au temps des chalou­pes », page 65.

4. Idem, page 16.

5. Nous dirions le conseil municipal. Il fut établi par voie d’élection le 6 sep­tembre 1789 à La Teste-de-Buch.

6. J. Ragot : « La vie et les gens de La Teste-de-Buch pendant la lutte contre les sables », tome I (1782-1815).

7. En tête du registre de catholicité qu’il commence dès son arrivée à Gujan, l’abbé Garros écrit :

« Lorsque j’ai pris possession du bénéfice de Gujan, le 21 octobre 1782, je n’ai point trouvé de registre de cette année-là, quelque exacte recherche que j’ai pu faire. Je n’ai trouvé que plusieurs petits morceaux de papier détachés signé de M. Vignes, mon prédécesseur, contenant les actes écrits dans ce regis­tre non pas par ordre, mais d’une manière très confuse, etc. »

8. «Clos est (sic) arrêté par Moy (sic) Jean Gaston Caupos, maire sous­signé à Gujan en la maison presbytraie (sic) 13 février 1793 Gaston Caupos, maire, Dutruch, secrétaire greffier. »

9. Registres paroissiaux de Gujan.

10. « Le diocèse de Bordeaux », sous la direction de Bernard Guillemain. Éditions Beauchesne.

11. « invitus », dira-t-il plus tard.

12. L’actuelle place Gambetta, à Bordeaux.

13. « L’An 1804 le 15 du mois de septembre, Simon Garros, prêtre, ancien curé de cette paroisse, est décédé dans cette paroisse, dans la maison où il s’était retiré depuis quelques années cartier (sic) du Bourg, âgé d’environ soixante-quatre ans. Son corps a été inhumé au cimetière de cette paroisse, le seize du mois et an cy-dessus. En foy de quoy j’ai signé Damin, desservant de Gujan. » (Registres de Catholicité)

14. Les assignats furent des sortes de billets de banque mis en circulation par l’État sous la Révolution. Ces assignats perdirent vite leur valeur, victimes du phénomène de la… dévaluation. Si bien que l’État ne retira aucun bénéfice de la vente de ces Biens Nationaux qu’il avait retirés à l’Église.

15. J. Ragot: « La Paroisse de Gujan avant la Révolution ».

16. Registre des délibérations du conseil de fabrique de Gujan, séance du 31 mai 1818.

 

Extrait du Bulletin n° 12 de la Société historique et archéologique d’Arcachon et du Pays de Buch du 2e trimestre 1977

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