Les fiançailles

LES FIANÇAILLES

 

La législation civile et religieuse et les mœurs réglaient, autrefois, la question si importante du mariage, fondement de l’ordre social. Presque toujours, il été précédé – et dans tous les rangs de la Société – par les « fiançailles », du vieux mot fiance, qui signifiait « confiance, assurance ».

Les fiançailles étaient une promesse solennelle faite par deux per­sonnes de différent sexe de se prendre pour mari et femme, librement, réciproquement et légitimement consentie. C’était une cérémonie prépa­ratoire au Sacrement de Mariage. L’usage de se fiancer était pratiqué de différentes façons, il est vrai, dès les temps les plus reculés. Les vieux patriarches, leurs descendants, se fiançaient (Genèse, ch. 24, v. 50). Aussi les Grecs et les Romains et nos glorieux ancêtres les Gaulois. Les chré­tiens continuèrent cet usage et l’Église adopta les cérémonies des fiançail­les : “Sponsalia”. Le peuple de Buch les appelait: les “accordailles”. Cette pratique des fiançailles fut donc maintenue et acceptée pour plusieurs sages motifs. Elles servaient à bien faire réfléchir les parties sur leurs obligations futures, sur l’indissolubilité de l’état de mariage, sur la grandeur et la sainteté de cet état, à étudier leurs caractères. . . Elles évi­taient les inconvénients des mariages précipités, mal assortis, du “coup de foudre”, etc.

La forme des fiançailles varia selon les peuples et les siècles. Chez les Romains, les fiancés s’embrassaient, se prenaient la main, l’é­poux mettait un anneau au doigt de la fiancée. D’après la Loi Salique, les Francs, nos aïeux, se fiançaient par le ” Sol et le Denier : per Solidum et Denarium “.

Aucune loi ecclésiastique ancienne n’a fait des fiançailles une céré­monie religieuse obligatoire. Le Rituel romain du pape Paul V n’en dit pas un seul mot. L’Église latine les a toujours regardées comme de sim­ples promesses et ne les a jamais regardées comme nécessaires à la vali­dité du mariage. Aussi les parties avaient-elles le choix d’exprimer leur consentement de la manière qu’il leur plaisait d’adopter. On se fiançait par la chose : Re, par le don d’arrhes ou d’un anneau ; par la parole : Verbis, c’est-à-dire par une promesse réciproque et expresse : “Je te pren­drai pour femme et moi pour mari” ; par lettres : Litteris, ou par procureur, etc. Parfois, ces promesses se faisaient en présence des familles intéressées, parfois devant témoins, assez souvent devant un notaire par un acte solennel ; dans la plupart des cas, devant le prêtre, mais pas toujours à l’église, souvent à la maison des fiancés, en présence des pè­res et mères et des proches parents. La forme de ce cérémonial variait beaucoup selon l’usage des lieux. Ordinairement, le prêtre jetait de l’eau bénite sur les fiancés à genoux, lisait une prière analogue et prononçait ces paroles : “Je vous fiance pour le mariage, au nom du Père, etc.”. D’après une ordonnance du Cardinal François de Sourdis, archevêque de Bordeaux, en date du 6 février 1666, le droit à percevoir pour cette cé­rémonie était de 30 sols.

Dans certains cas, nous avons vu les parents disposer de l’avenir de leurs enfants comme du leur propre. A l’exemple des Grands du Royau­me, des gens du peuple fiancent leurs enfants et règlent leur mariage, même quand ils n’ont pas encore l’âge nubile, si, du moins, ils ont sept ans accomplis, âge fixé par le droit canonique. Il faut ajouter aussitôt que ces promesses – fiançailles – n’étaient valides qu’autant que les enfants, parvenus à l’âge de puberté, les avaient ratifiées de leur plein gré, sans y être aucunement forcés. Même en Pays de Buch, des cas semblables, assez rares, je crois, se sont présentés dans le peuple. Je citerai le cas suivant : En 1653, un Jean Birot, laboureur, veuf de Marie Seguier con­tracte un second mariage avec une Jeanne Decazaux, veuve de Jean Bau­bois. Or, dans leur contrat de mariage, “ils s’engagent à faire conjoindre en mariage Jean Birot, fils de l’époux, avec Jeanne Beaubois, fille de l’é­pouse, quand ils auront l’âge compétent pour ce faire”. Quel était donc le but visé par les parents ? Sans doute de créer une union plus intime entre les deux familles et tous leurs membres, mais aussi de conserver les deux héritages dans leur propre progéniture et d’en “faire des riches”. Le calcul, l’intérêt, n’étaient pas l’apanage de la haute classe seule ; l’humble cabane du laboureur, travailleur manuel si attaché à ses intérêts, et du paysan madré ouvrait aussi largement sa porte quand l’occasion pa­raissait propice, à la cupidité et à l’ambition.

Le principal effet des fiançailles étant de lier, l’un envers l’autre, les futurs, tous deux, étaient dans l’obligation d’accomplir leur promesse. Celle-ci était faite purement et simplement ou sous un certain délai qui, dans nos parages, était d’une année. Dans le premier cas, la promesse devait être accomplie à la réquisition de l’un ou de l’autre : si elle était fai­te sous un certain temps, l’engagement devait être tenu quand était arri­vé le temps prescrit. Lorsque l’une des parties était infidèle à la parole donnée, l’autre avait le droit d’exiger la restitution des dons et cadeaux ; elle obtenait parfois des dommages et intérêts et même des peines spiri­tuelles quand l’affaire était portée devant l’Officialité, qui jugeait que “l’obligation de tenir sa promesse donnée en connaissance de cause et avec une entière liberté, étant fondée sur le droit naturel, celui-ci ne per­met pas de se rétracter au préjudice d’un autre”. Telle fut la décision de l’Officialité de Bordeaux, l’an 1679, en faveur d’un Pey Prévot, fiancé à Jeanne Jollibert. Celle-ci, n’ayant pas tenu sa parole, fut condamnée à payer à son ex-fiancé “35 livres 1sol et 6 deniers pour despens auxquels elle a été condamnée pour avoir retiré sa parole et porté préjudice au ré­clamant”.

Mais, parce que le temps des fiançailles était comme une épreuve, un noviciat, il était loisible à l’un ou à l’autre des deux fiancés, aux deux aussi en même temps, de les rompre. Elles pouvaient donc être rompues par le consentement mutuel des deux fiancés, par l’infidélité à la parole donnée de l’un d’eux, par la survenance d’un fait nouveau grave, par l’impossibilité de contracter mariage, etc.

Les fiançailles, on le conçoit aisément, étaient bien vite connues du public. Aussi, quand d’un commun accord elles étaient rompues, les inté­ressés s’appliquaient à le faire connaître à tout le monde; dans ce but, ils ont recours au notaire ou au curé, à tous deux à la fois. Le 27 septem­bre 1723, deux fiancés déclarent par acte notarié “ne vouloir se prendre pour époux, parce qu’ils avaient agi sur les sollicitations de leurs parents, qui ne leur donnèrent pas le temps à pouvoir se consulter. Ils déclarent leurs fiançailles dissolues (sic) et prient le curé de vouloir bien prôner cet acte pour le rendre connu de tous”.

On appelle maintenant “fiancés” deux jeunes gens entre qui un mariage est projeté, qui se fréquentent en vue du mariage au vu et au su de tout le monde, échangent des cadeaux, offrent des anneaux, sans qu’ils aient fait des promesses formelles aux intentions de s’allier. Les lois civile et religieuse les ignorent ; le Code Civil n’en dit mot, non plus le Rituel romain.

Abbé Ferdinand BERTRUC.

 

Extrait du n° 15 de la Revue Historique du Pays de Buch de janvier 1932

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