Poisson d’avril – Les Grecs sur le Bassin

Poisson d’avril – Les Grecs sur le Bassin

 

Après la condamnation de Socrate, un certain nombre d’aris­tocrates d’Athènes dont les fils avaient été élèves du Maître estimèrent prudent d’éloigner quelques temps leur progéniture. C’est ainsi qu’une trentaine de jeunes gens de 18 à 22 ans pri­rent la mer, un jour de l’an 399 avant Jésus-Christ, avec comme mentor, un disciple de Socrate qui avait si bien assimilé son ensei­gnement, qu’on lui avait donné comme surnom la maxime de celui ci : Gnoti Séautôn, connais toi toi-même.

Le but de leur voyage était le pays des Boïates où se trouvait Arkéséon, le port de refuge bien connu des navigateurs grecs. Bien que le livre de bord ait été scrupuleusement tenu par Gnoti Séautôn nous ne les suivrons pas jour par jour. Nous les prenons à leur arrivée dans la Petite Mer, au début de l’été. Ils accostèrent sur une plage de sable fin sur la rive nord, au pied d’une dune. Les derniers jours de la navigation avaient été durs, aussi, le matériel débarqué et le repas pris, les jeunes grecs n’aspiraient qu’à dormir. Mais Gnoti Séautôn, comme Xénophon, autre disciple du Maître, estimait que « rien n’est aussi beau et aussi utile que l’ordre et que c’était une belle chose de voir des chaussures, même ordinaires, rangées avec ordre »1. Ce ne fut donc que lorsque tout fut dispo­sé avec soin et les sandales bien alignées, que les jeunes gens pu­rent s’enfoncer dans le sommeil.

Le soleil étant dans le milieu de sa course quand ils se ré­veillèrent. La chaleur était douce, la mer bleue et calme. Ils se dévêtirent et jouèrent longtemps dans l’eau, puis, dans le plus simple appareil, ils s’étendirent sur le sable et sombrèrent dans une agréable torpeur. Des clameurs dévalant la dune les jetèrent debout mais déjà une bande de solides gaillards, vêtus d’un pantalon en peau de bête et torse nu, brandissant lances et massues, était sur eux.

Les cris de guerre des Boïates se transformèrent en murmures d’admiration à la vue de ces éphèbes frisés, au corps lisse et bronzé. Ils déposèrent leurs armes et leur chef, qui connaissait la langue d’Homère, se mit à parler avec Gnoti Séautôn. Celui-ci conversait donc amicalement avec le chef qui s’appelait Bélisaire, quand il s’aperçut que ses élèves et les guerriers boïates s’éloignaient les uns après les autres, par couple mixte, sous les pins de la dune. Gnoti Séautôn en avait vu d’autres, mais trouva cependant que cela manquait de préliminaires et s’en ouvrit à Bélisaire. Celui-ci lui répondit en souriant que lui et ses hommes étaient originaires d’un bourg, distant de quelques lieues, que de précédents voya­geurs grecs avaient baptisé dans leur langue « andreios », le viril, pour des raisons évidentes2. Il ajouta qu’au demeurant la loi des Boïates exigeait des étrangers un droit d’entrée dont ceux-ci pouvaient s’acquitter de diverses façons.

Gnoti Séautôn, avait été élevé par son maître dans le respect des lois : « Si c’est là, dit-il, une règle du pays dont nous sommes les hôtes, nous nous y conformerons bien volontiers et je désigne­rai sur mes tablettes ce lieu où nous nous sommes rencontrés sous le nom de « Kanôn », ce qui veut dire : la règle, dans notre lan­gue ».3

 

GRECS ET BOÏATES

Devenus inséparables les Grecs et les Boïates se mirent à excursionner sur les rives d’Arkéséon. Ils visitèrent des comptoirs tenus par des compatriotes à Biganos, Caudos, Mios, Balanos, mais n’allèrent pas jusqu’à Pissos. Ils reconnurent, ce faisant, le lit d’une jolie rivière mais d’un faible débit, c’est pourquoi Gnoti Séautôn l’appela : Leira, la maigre4.

Sur les rives de Leira s’élevait la capitale des Boïates. Les gens y étaient calmes et industrieux. Sous la direction de druides versés dans les sciences, ils brûlaient des bûches de bois en même temps que certaines poudres et tiraient du mélange une pâte molle avec laquelle ils confectionnaient des parchemins artificiels. Mal­heureusement, la fumée dégagée sentait fort mauvais, c’est pourquoi nos voyageurs ne s’attardèrent pas.

Cellulosix, le chef de la capitale, les accompagna jusqu’au pied d’une longue muraille qui séparait son territoire de celui des Barbotes5 : « Ces gens-là, dit-il aux Grecs, quand il ne sont pas en proie à leur passion, sont comme vous et moi, mais pris par elle on ne les reconnaît plus. Leur passion consiste à se grouper par bandes de quinze et à se disputer un objet en peau de sanglier appelé ovalex. Souvent ils luttent avec une autre fraction qui habite plus à l’ouest, les Testovices, qui partagent la même fureur. Quand ils ont gagné, cela va très bien, mais quand ils ont perdu, ils errent dans la campagne en hurlant et en cassant tout. Nous avons construit ce rempart pour être tranquilles ». Comme le lieu n’avait pas de nom, Gnoti Séautôn, lui donna celui de « teixos », le mur6.

Les jeunes Grecs n’ignoraient rien des jeux du stade mais n’avaient jamais vu jouer à l’ovalex. Un grec du nom de Larros7, fixé chez les Barbotes, les fit assister à plusieurs parties. Enthousiasmés, ils apprirent les règles et s’entraînèrent assidû­ment, brûlant de se mesurer avec les Barbotes. Gens massifs et puissants, avec des cous de taureau, les Barbotes se tordirent de rire quand Gnoti Séautôn leur proposa une rencontre. Ils accep­tèrent cependant, histoire de donner une bonne leçon à ces pré­somptueux à la taille trop fine et aux muscles longs.

 

LA PARTIE

Le lieu choisi pour la rencontre était une vaste plage au bord d’une lagune communiquant avec la mer sur la côte des Testovices. Toutes les fractions des Boïates, soit par la forêt, soit par bateau, vinrent assister au spectacle. On avait choisi comme maître du jeu Hortensix, homme sage et accueillant, vivant près de ce cap qui, par mauvais temps, ne pouvait être doublé que grâce à des prodiges d’énergie, raison pour laquelle les navigateurs grecs l’avaient appelé « phéré », c’est-à-dire « Allons, Courage ».

Les Grecs avaient désigné Péroutas comme capitaine, leurs meilleurs joueurs étaient Danaos et Triskos. La partie fut ce qu’on imagine, il fallut des prolongations. Finalement la vitesse et la souplesse des Grecs l’emportèrent sur la puissance des Barbotes. Une jeune prêtresse nommée Maguide couronna Péroutas de feuilles de chêne et baisa le front de Triskos, le joueur grec qui avait porté le plus souvent l’ovalex dans le camp des Barbotes.

Gnoti Séautôn pleurait doucement de joie. Il prit ses tablettes et dit à Bélisaire : « Ce lieu désormais portera le nom de « nike », ce qui veut dire la victoire dans la langue des Hellènes »8. Puis il entonna un hymne à la gloire de la jeunesse : « S’ils aiment l’honneur, ils aiment encore plus la victoire, car la jeunesse est avide de supériorité, et la victoire est une supériorité. L’honneur et la victoire les touchent plus que les richesses…».9

Il chantait encore quand la nuit tomba. Les flammes des feux de camp illuminaient l’océan et les bois. Des bœufs entiers rôtis­saient sur des brasiers et des jeunes filles versaient à profusion une boisson terriblement capiteuse faite de jus d’arbouses. Tard dans la nuit, les chants des Boïates ivres couvrirent le bruit des va­gues.10.

NB : Triskos et Danaos ne rentrèrent pas à Athènes. Triskos épousa Maguide et Danaos, une amie de celle-ci, appelée Ispe. C’est de ces deux couples que descendent tous les Triscos et tous les Daney. Les Testovices donnèrent à une dune dominant la lac de Cazaux, voisin du lieu de la rencontre, le nom du jeune Péroutas, nom parvenu jusqu’à nous sous sa forme gasconisée « Peyroutas ».

 Jacques RAGOT

 

1. Xénophon. « L’Economique », VIII, 3 et 19 : Conseils à Ischomaque

2. Telle est l’origine du nom d’Andernos

3. Kanôn est devenu : Le Canon

4. Aujourd’hui, La Leyre

5. Ancêtres des Gujanais

6. Devenu Le Teich

7. Un des sept ports de Gujan-Mestras

8. Le souvenir de ces événements s’étant perdu au cours des siècles, on a cru que « Nike » avait trait avec la ville de Nice, d’où l’actuel et malencontreux « Petit Nice »

9. Aristote dans sa « Rhétorique » a reproduit intégralement cet hymne sans avoir l’honnêteté de citer son auteur.

10. Il y a moins de cent ans, la boisson d’arbouses était encore connue à La Teste sous le nom de « lédounat », l’arbousier se disant « lédoun » en gascon.

 

Extrait de Pages d’Histoire locale – Arcachon – La Teste – Le Moulleau – Pyla-sur-Mer par Jacques Ragot – 1986

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