Action de commando sur le Winnipeg – Témoignage

Action de commando sur le Winnipeg

Témoignage

Nous sommes en 1939. La Wehrmacht va démontrer au monde qu’elle est non seulement puissante mais très rapide. Pour l’heure, la «drôle de guerre» va commencer. M. Marcel Barbault raconte.

AU FORT

«Appelés par mobilisation générale du 27 août 1939, les hommes valides de toutes les régions de France et de toutes les armes rejoignent leur affectation ; c’est le cas pour ceux qui sont inscrits dans les registres de la Marine Nationale. Le destin décide pour eux : une partie est affectée à bord de bâtiments et l’autre à des postes à terre, notamment pour la défense côtière du nord au sud de l’hexagone. C’est ainsi que bon nombre d’hommes, certains issus d’Arcachon et de ses environs, se retrouvent au Fort du Chay, près de Royan.

«Une foule disparate d’appelés s’y rencontre, entre autres : Chauvin, agent de police à Bordeaux, Verjade, commercial à Royan, Girardot de Marennes, André Le Dizet dit «Dédé», marin pêcheur, Doré, instituteur et Lalande, employé à la S.N.C.F. – tous trois d’Arcachon, Roux de Gujan-Mestras… Tous ces hommes vont jouer un rôle dans l’histoire qui va suivre […].

«Le Fort du Chay dépendait d’un commandant suprême régional qui se trouvait à Bordeaux, le commandant Vieljeux, de la réputée Compagnie de navigation Delmas-Vieljeux. Quant au commandant du fort, le capitaine de corvette Devilliers, il avait pour secrétaire Girardot, pour chauffeur occasionnel Verjade – qui était en outre assermenté agent de renseignement, et il était secondé par l’officier des équipages Erzog et le capitaine d’armes Mathieu pour encadrer la cinquantaine d’hommes qui composait la garnison.

«Certains de ces hommes, comme le commandant Devilliers et Verjade, qui étaient des vétérans de la Première Guerre mondiale, pensaient que celle-ci serait également une guerre de position ; aussi toute la compagnie s’installa doucement…

“C’est ainsi qu’au bout de trois ou quatre jours, Verjade prit l’initiative de faire construire un abri qui surplombait la mer pour servir de lieux d’aisance – les poulaines -, car rien de ce genre n’existait à l’arrivée des hommes et, comme des chiens, tous usaient largement des pelouses qui leur étaient offertes !

«Quatre pièces de 75 mm, marque Saint-Étienne, furent mises en batterie ; Les canonniers qui étaient aidés de deux pourvoyeurs s’activèrent afin que les canons soient prêts à tirer, les obus étant transportés à l’aide d’une brouette !

«Aux cuisines également, le coq s’installa et, dans l’enceinte fortifiée, la vie prit le dessus. […] Un soir, il y eut une alerte et un bateau sans feux passa au large. Le Dizet dit au lieutenant Erzog – avec l’accent – : «Alors, on lui envoie un pet?». Aussitôt dit, aussitôt fait. Mais le lendemain, les pêcheurs qui avaient fait les frais d’un tel tir vinrent se plaindre et ce fut une autre chanson. […]»

MISSION  SPÉCIALE

«Un jour, une liste de quarante marins (matelots et quartiers-maîtres) fut dressée par le capitaine d’armes. Nous fûmes mis en alerte permanente, isolés, en tenue et en armes, car nous devions participer à une action imminente. Il devait s’agir d’une affaire importante car l’on nous dota d’un mousqueton-baïonnette à la place du fusil Lebel d’un autre âge, d’un pistolet placé sous l’aisselle et de cartouchières. Le pli «secret défense» arriva aux mains du fidèle Mathieu et vers les 3/4 h. du matin, sous sa conduite, nous embarquâmes par groupes de dix dans quatre canots motorisés. Cette action devait être une action de commando sur un cargo.

«Partis du port de Royan, nous fîmes route vers l’embouchure de la Gironde. Sur le parcours, un marin passé par-dessus bord fut repêché in extremis par ses collègues ; la mer était forte. Nous accostâmes le cargo-mixte Winnipeg, qui était au mouillage à la pointe de Grave, en provenance du Venezuela. Pupin, son commandant, et le commissaire de bord avaient alerté les autorités françaises que l’équipage voulait prendre possession du bateau. A ma connaissance, Mlle Cachin, fille de l’homme politique qui dirigeait le journal L’Humanité, devait également se trouver à bord comme passagère et l’équipage – communiste – voulait retourner au Venezuela pour y revendre le bâtiment, car il n’était pas d’accord avec la politique française de l’époque […]. Les canots manœuvrèrent afin d’accoster sans trop de heurts l’impressionnante coque du cargo, puis les hommes, s’assurant au mieux et s’entraidant sous les coups répétés des vagues, montèrent jusqu’au plat-bord par des échelles de corde. Le commandant qui était aux aguets nous attendait et, tout en nous conduisant, nous indiqua le lieu où se trouvaient les dissidents. Une grande partie de l’équipage était à la cuisine, ce qui nous permit de le neutraliser rapidement. Les ordres étaient clairs à ce sujet : notre commando, après avoir pris possession des lieux, devait se rendre maîtres des mutins, en leur mettant la baïonnette au ventre.

«Ensuite, le Winnipeg profitant de la marée, leva l’ancre pour faire route sur Bordeaux où une escouade de gardes mobiles prit en charge l’équipage qui était sous notre garde. Notre mission était terminée. Nous réintégrâmes le Fort du Chay.»

LE WINNIPEG

Grâce aux Archives de la Marine du Fort de Vincennes1, nous avons découvert que ce navire de commerce était en réalité un cargo-mixte en acier, avec trois ponts complets, immatriculé au Havre, construit à Dunkerque en 1918, d’un tonnage brut de 9 802 tonneaux et d’un port en lourd de 16 400 tonneaux, long de 150 m., large de 18 m., mû par deux machines à vapeur alternatives à triple expansion qui lui assuraient une vitesse de croisière de 14 nœuds. Son armateur était la Compagnie France Navigation et son exploitant la C.G.T. (Compagnie Générale Transatlantique). Attaché au port du Havre, aménagé en 1939 pour le transport d’émigrants, il fut alors doté de 2 000 couchettes.

Le 3 mars 1939, le Winnipeg, après avoir embarqué 2 000 réfugiés républicains espagnols fait route pour Valparaiso, au Chili, via le canal de Suez. À cette époque, le personnel de la Compagnie Générale Transatlantique est très empreint des idéaux communistes, ce qui explique les propos de notre témoin rapportés plus haut. De fait, la majorité des hommes du cargo décide, après avoir relâché à Valparaiso, de s’opposer au capitaine Pupin et de ne pas rentrer en France à bord d’un navire «placé sous l’autorité d’un commandant aux ordres défaitistes». Le navire amorce donc la manœuvre du retour ; il a reçu le 5 avril 1940 l’ordre de route 67, classé secret, Fort-de-France-Casablanca-Bordeaux.

C’est ainsi que le Winnipeg, après avoir traversé l’Atlantique, se présente aux abords des côtes de France et mouille au Verdon. Le capitaine Pupin et son commissaire, qui ont eu vent de la décision de l’équipage, avertissent les autorités françaises, d’où l’intervention du commando du Fort du Chay.

Le procès de l’équipage a bien lieu à Bordeaux et aboutit à l’acquittement des «mutins», le 27 avril 1940. Quant au commandant Pupin, mobilisé à Quiberon comme lieutenant aviateur, il n’a pas eu l’autorisation de venir témoigner.

L’aventure du Winnipeg n’est pas terminée pour autant. Le 19 novembre 1940, l’équipage déserte le cargo à Liverpool, où se trouve un comité «de Gaulle» ; il est remplacé par 16 hommes à rapatrier, issus de navires saisis. Alors que la guerre fait rage, le navire continue à transporter son fret sous les ordres du capitaine Leclere. Le 26 avril 1941, le Winnipeg qui a, à son bord, des passagers juifs allemands est saisi par les Anglais et conduit à La Barbade ; les autorités sont alors prévenues qu’un plan de sabordage est mis en place mais ce dernier n’aura pas lieu car il y a trop de personnes à bord.

ET  LES  HOMMES  DU  FORT  DU  CHAY ?

Rencontrant son ami Verjade en janvier 1983, M. Marcel Barbault apprit ainsi que le capitaine d’armes Mathieu avait été fusillé par les Allemands. Et les deux hommes de mettre en commun leurs souvenirs.

«En 1940, en mai (?), il y eut une alerte aérienne nocturne. Sous les feux des projecteurs, un avion fut détecté et identifié. Les pièces d’artillerie et les mitrailleuses entrèrent en action. L’avion de reconnaissance allemand fut abattu. Suite à cette action, un seul pointeur-tireur du groupe assurant la défense du fort reçut la Croix de guerre. […]

«Les escadrilles italiennes – l’Italie étant alors l’alliée de l’Allemagne – venaient souvent par vagues mitrailler le fort et les nids de résistance alentour. Les défenseurs les recevaient par des tirs de barrage de mitrailleuses. Durant ce temps, les armées allemandes progressaient à grands pas et, après avoir envahi une partie de la France, arrivèrent aux portes de Royan après avoir investi Saint-Jean d’Angély et Saintes.

«La dernière mission du commandant Devilliers fut de partir en liaison à la Pointe de Grave, où se trouvaient les batteries de 305. Verjade en civil reçut l’ordre de surveiller les mouvements des Allemands autour puis dans Royan… La Wehrmacht progressa jusqu’à Pontaillac sur la grande côte, là où il y avait des points de défense et de l’artillerie lourde. Sur ces entrefaites, le gouvernement français se trouva désemparé et des ministres envisageaient d’embarquer à Bordeaux sur le Massilia des Chargeurs Réunis.

«Verjade rejoignit Le Verdon avec un bateau de pêche que gardait en permanence un marin réquisitionné et contacta Devilliers qui, apprenant la prise imminente du Fort, ordonna de tirer sur les Allemands. Le bombardement des 305 atteignit aussi le Fort du Chay, dans les souterrains duquel la garnison, qui n’avait pu résister à l’envahisseur, se trouvait désormais prisonnière. L’avance de l’ennemi continuant, le commandant Devilliers revint par la route jusqu’au Fort et demanda à voir l’officier nouveau maître des lieux. Le colonel de la Wehrmacht accepta et serra la main de l’officier qui venait se rendre, après lui avoir déclaré : «Vous m’avez fait beaucoup de mal !» (en effet, l’ennemi comptait ses tués et ses blesssés). Devilliers lui répliqua : «L’armistice n’était pas en vigueur et mon devoir et mon droit étaient de faire feu!». Prisonnier, il brisa son revolver devant le colonel qui le fit «prisonnier d’honneur» et Devilliers bénéficia ainsi de mesures d’assouplissement pour sa garde.»

Si Verjade réussit à passer la frontière pour se réfugier en Espagne, Marcel Barbault se retrouva prisonnier de l’ennemi et, comme nombre de ses compagnons, fut enfermé dans une caserne à Royan, qui avait été déclarée ville ouverte. Ensuite, tous furent embarqués dans des wagons à bestiaux et arrivèrent ainsi à Surgères où un camp de prisonniers venait d’être installé. Ce dernier fonctionna en juin et juillet 1940 ; 28 000 hommes y furent parqués sous surveillance, dans des conditions de vie difficiles, tant au plan de l’hygiène que de la nourriture, sans parler de la promiscuité. Pour raisons sanitaires, les prisonniers des départements limitrophes furent libérés, puis démobilisés.

La suite appartient à l’histoire de la guerre 1939-1945. Certes. Mais que sont devenus les autres membres du commando qui s’empara du Winnipeg, notamment les natifs du Bassin d’Arcachon ?

Jean PARROU-BORDES

Remerciements à MM. Marcel et Pascal Barbault.

NOTE
1. Service Historique de la Marine (Château de Vincennes), dossiers TTy 752 et 834.

Extrait du Bulletin n° 114 de la Société historique et archéologique d’Arcachon et du Pays de Buch.

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