C’était en juillet 1914

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C’était en juillet 1914

 

Le mois de juillet 1914 est bien connu pour être celui de la crise serbe qui mène directement à la Première guerre mondiale, suite à l’assassinat de l’archiduc François-Ferdinand héritier du trône d’Autriche-Hongrie, à Sarajevo le 28 juin 1914. Pourtant, rien n’en transparaît dans la presse locale, tant dans la Vigie républicaine d’Arcachon que dans l’Avenir d’Arcachon. Non seulement, l’attentat n’est même pas cité, mais l’engrenage qui s’enclenche à partir du 25 juillet, non plus. Le dimanche 26, jour de parution de ces deux hebdomadaires, on aurait pu au moins trouver mention de l’ultimatum adressé par l’Autriche-Hongrie à la Serbie. Il n’en est rien. C’est donc d’abord l’absence d’information qui interroge le lecteur d’aujourd’hui : a-t-on cherché sciemment à « désinformer » le public pour ne pas l’inquiéter ni le détourner de ses occupations estivales, telles les régates ou les fêtes du 14 juillet, abondamment commentées dans les colonnes ? Réussir la saison, c’est certainement ce qui prime localement. A-t-on considéré que de toute façon la Serbie est loin, et que ma foi, l’assassinat d’un archiduc autrichien ne peut décemment avoir aucune conséquence directe sur la France ?

Pour nous informer, faisons donc comme notre ancêtre d’il y a cent ans, reportons-nous au quotidien régional, La Petite Gironde, conservée à la Bibliothèque Mériadeck à Bordeaux. Même elle, reconnaît, au début de son éditorial du 26 juillet, avoir trop peu porté jusqu’ici « d’attention aux questions extérieures », comme on le voit dans la colonne de gauche du document. C’est pourquoi elle cite cette fois explicitement l’ultimatum, reproduisant même le texte in extenso dans un passage non repris dans cette chronique, et en évoque déjà les possibles conséquences funestes à cause du jeu des alliances (« calculs dangereux »). Elle s’engage d’ailleurs ouvertement du côté de la Serbie, qualifiée de « nation indépendante », « capable de défendre ses droits et son honneur » (comme lors des récentes guerres des Balkans en 1912-1913), les demandes de l’Autriche étant qualifiées de « prétentions injustifiées ». Le journal se doit en effet de tenir compte de l’alliance franco-russe, et ce d’autant plus au moment du voyage du président Poincaré à Saint-Pétersbourg, la Russie étant la protectrice des slaves, donc de la Serbie, menacée par le pangermanisme austro-allemand.

Pourtant, si on regarde attentivement les passages issus de l’édition du 28 juillet, on ne peut qu’être frappé par le fait que le journal « souffle à la fois le chaud et le froid ». Il est vrai qu’objectivement le 28 juillet, « les jeux ne sont pas encore faits ». Mais surtout, le journal se doit de ne pas déclencher de panique chez son lecteur. Il insiste bien sur l’espoir de paix qui perdure, tant que les hostilités ne sont pas ouvertes par l’Autriche contre la Serbie: « symptôme favorable », « espérances pacifiques », « terrain d’accord », « accord raisonnable », « détente réelle », « action conciliatrice »….L’espoir repose d’abord sur la vision d’un conflit limité géographiquement, avec une médiation opérée entre l’Autriche et la Russie, pour que cette dernière ne soutienne pas la Serbie. Il repose surtout sur « les bons offices » britanniques comme on le voit à travers la tentative d’une conférence internationale initiée par la Grande-Bretagne et réunissant les pays non directement impliqués, France, Allemagne et Italie (cette dernière étant déjà fort peu désireuse de suivre ses alliés germaniques).

Mais c’est compter sur l’appui de l’Allemagne à cette conférence, qui en réalité ne viendra jamais, malgré les hypothèses évoquées ici, d’autant qu’on voit bien que la rupture est consommée entre l’Autriche et la Serbie, et que décidément l’heure n’est plus à la diplomatie. Le journal indique à demi-mots qu’en fin d’après-midi l’Autriche a déclaré la guerre à la Serbie, et effectivement Belgrade sera bombardée le lendemain.

Alors l’engrenage fatal se déroulera. Les paroles du Ministre des Affaires étrangères britannique, rapportées en gras dans l’article pour les rendre plus percutantes, montrent bien, contrairement à ce qu’on pense parfois, que l’ampleur du désastre était imaginée dès ce moment-là : « la plus grande des catastrophes que l’Europe ait jamais vues », des « conséquences » « incalculables ». Néanmoins, dans la colonne du milieu intitulée « Haut les cœurs! », censée nous élever à la hauteur des circonstances, le journaliste s’efforce de montrer que cette guerre sera aussi celle des français : on y voit réapparaître les arguments contre le pangermanisme, ainsi que l’affirmation d’une guerre défensive, subie plus que voulue, idées largement développées dans les chroniques précédentes de préparation des esprits à la guerre. Il esquisse la future notion d’union sacrée en rappelant sans le nommer l’accord autour de la loi des trois ans : « tous les français sans distinction de partis ont consenti les plus lourds sacrifices », dit-il … comment alors faudra-t-il nommer ensuite le sacrifice suprême de toute une jeunesse? Certes, nous, nous savons ce qui s’est passé après ces articles, mais laissons-nous porter par l’accélération du temps qu’ils traduisent.

Armelle BONIN-KERDON

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