C’était en juin 1916

C’était en juin 1916

L’essentiel de cette chronique nous est fourni par le numéro du 25 juin 1916 de L’Avenir d’Arcachon. Le journal, qui nous a déjà vanté les qualités de la station balnéaire dans son numéro du 4 juin (disponible sur Gallica) précise que la saison d’été est maintenant commencée, faisant référence à la représentation théâtrale d’un vaudeville le 1er juillet suivant, au théâtre municipal. De même, une évocation des courses de taureaux de Saint-Sébastien rappelle la proximité des stations du Pays basque et fait songer aux liens d’Arcachon avec le roi d’Espagne Alphonse XIII, dont les parents s’étaient rencontrés en Ville d’hiver. On relève aussi une allusion à un autre vaudeville, La Famille Benoiton, de Victorien Sardou, par le biais de la comparaison du maire Veyrier-Montagnères avec le personnage féminin de la pièce, réputée n’être jamais chez elle, toujours en promenade, comme le rédacteur en chef du journal d’opposition en accuse l’édile municipal, pour le ridiculiser et le déconsidérer aux yeux des lecteurs ses administrés. Bref, en ce mois de juin, on souhaite bénéficier du retour des touristes, amateurs de plaisirs légers, après deux étés marqués du sceau lourd de la guerre.

Néanmoins, celle-ci n’est jamais loin : dans l’Espagne restée neutre dans le conflit, on risque de « coudoyer des Boches arrogants », et ce serait « un manque de patriotisme » ; quant au titre du vaudeville Vous n’avez rien à déclarer ?, il fait un écho ironique aux impôts chargés de financer la guerre. Au-delà de l’humour, la lettre que le sergent Lussan est censé envoyer depuis le front à ses parents replace le lecteur dans la dure réalité des combats de Verdun : certes, la censure ne permet pas d’entrer dans les détails (« tout ce que je puis vous dire », régiment et lieux précis non cités), mais la souffrance est bien suggérée (« Dieu sait ce que nous avons enduré ces derniers jours »), référence possible à la perte du fort de Vaux début juin et à la puissante attaque allemande du 23 juin. Le danger de mort n’est pas éludé : « À la date où je vous écris, je suis en bonne santé. » Le sergent sait que les communiqués officiels sont stéréotypés et de toute façon élogieux pour l’action des soldats. Dans un souci de rassurer ses proches et de les rendre fiers de lui dans un élan patriotique commun, il leur annonce ses décorations (citation à l’ordre de la division et proposition pour la croix de guerre) qui renforcent le courage « de faire face à tout ». La culture patriotique de guerre, grâce au journal, peut ainsi être partagée par les habitants du Bassin d’Arcachon.

Les autres articles abordent la guerre par le biais de ses répercussions locales. On retrouve par exemple le thème récurrent du manque de gaz, à cause de la pénurie de charbon, de la hausse de son prix et des difficultés de la municipalité à négocier avec la compagnie locale (voir la chronique de décembre 1915/2015). Surtout, on voit apparaître une nouvelle mesure nationale, appelée à un bel avenir : il s’agit du changement de l’heure légale d’été, thème traité également par La Vigie républicaine d’Arcachon du 11 juin 1916. Il y a très peu de temps que la France a bénéficié de la même heure sur tout son territoire (loi du 14 mars 1891), et, depuis la loi du 9 mars 1911, c’est l’heure anglaise de Greenwich qui a été choisie. Afin de « réaliser des économies dans tous les services de dépenses de la nation » car la guerre coûte cher, le député des Basses-Alpes André Honorrat propose d’avancer l’heure de soixante minutes : « La prolongation de la guerre nous fait un devoir impérieux de ne négliger aucune source d’économie. » C’est chose faite par la loi du 9 juin 1916, appliquée à titre provisoire jusqu’au 1er octobre, depuis la nuit du 14 au 15 juin, d’où l’annonce de La Vigie républicaine pour avertir les lecteurs.

Comme on le constate sur l’affiche, l’Allemagne avait déjà effectué ce changement depuis le 30 avril 1916 (on parlait en France de « l’heure boche »), et le Royaume-Uni avait fait de même depuis le 21 mai. On le voit à travers toutes les précautions prises dans le rapport fait au Sénat, cette mesure était loin d’être populaire, et certains lui reprochaient même d’être contre nature ! C’est sans doute pour cela que Veyrier-Montagnères, d’après L’Avenir d’Arcachon, a décidé de retarder de soixante minutes l’heure d’« extinction des becs de gaz », rendant ainsi caduque la mesure d’économie d’éclairage. On rejoint le désir, signalé en introduction, de tout faire pour rendre la station balnéaire attractive aux touristes. Pourtant, cette décision aurait dû être considérée comme d’intérêt général, le ministre de l’Intérieur Malvy le précisait dans une affiche : «  Le but […] est d’économiser chaque jour une heure de lumière artificielle et par conséquent de réserver à la défense nationale une quantité considérable de charbon et de pétrole, actuellement dissipée en éclairage inutile. » Nonobstant la raison conjoncturelle de la guerre, il est intéressant de retrouver ici les arguments d’économie d’énergie encore développés de nos jours.

On trouve aussi dans L’Avenir d’Arcachon certains autres aspects de la guerre économique, par exemple la reconversion des « fabriques de moteurs » en fabriques d’« engins de guerre », telle Couach à Arcachon, déjà citée dans la chronique de mai dernier. Les hommes partis au front sont parfois remplacés par « un personnel inexpérimenté » : le journal semble attribuer à cette cause l’interruption du service du tramway arcachonnais, mais on peut penser aussi à la défaillance faute d’énergie des groupes électrogènes. D’après Claude Robin, dans un article du Bulletin de la SHAA n°112, l’entretien de la voie et du matériel roulant n’était plus assuré dès juillet 1915, et le tramway cessa de fonctionner le 14 avril 1916. Le conseil municipal, en accord avec le conseil général, décida ensuite d’exploiter la ligne en régie pendant les mois d’été ; on retrouve la volonté de répondre impérativement aux besoins des touristes. À la fin de l’année 1916 et jusqu’en 1918, la compagnie du tramway reçut une subvention annuelle de la part de la municipalité afin de maintenir le service en état.

Armelle BONIN-KERDON

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